
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local
A partir de l’œuvre de W. E. B. Du Bois, Les âmes du peuple noir
Il existe une forme d’ignorance provoquée par la domination du système occidental qui privilégie les personnes blanches en tant que productrices de savoir, au détriment des autres personnes placées dans des catégories raciales non-blanches. L’absence de ces productions issues d’autres cultures et personnes provoque une ignorance envers ce type de vécus, de témoignages et de savoirs. Donc, ce voile d’ignorance provient d’une injustice discriminant les personnes non catégorisées comme blanches par un système de production de connaissance (épistémique).
Injustice épistémique[1] et ignorance blanche
Il existe deux déclinaisons de cette forme d’injustice : les injustices de témoignage et les injustices herméneutiques (Fricker, 2007).
La première forme relève d’un défaut de crédibilité accordé aux personnes qui expriment les injustices qu’elles vivent (Bessone, 2020, p. 16). Ce défaut de crédibilité provient de biais négatifs ou de stéréotypes attribués à un groupe ; ou par l’attribution d’un excès de crédibilité à des personnes issues de notre propre groupe qui produisent un discours contradictoire au groupe marginalisé. Cet excès provient de la croyance de ce qui doit être considéré comme une personne connaissant « normale ».
La seconde forme relève des injustices herméneutiques. Sous ce nom barbare traduit simplement au groupe dominant de percevoir sa situation dominante sur la production de savoir. Le mode d’expression des groupes subordonnés n’est souvent pas reconnu comme source de connaissance valide par les groupes dominants.
Ce qui entraine la difficulté pour certaines personnes ou groupes subordonnés a accéder à l’éducation pour pouvoir appréhender, comprendre, interpréter puis partager leurs expériences (Bessone, 2020, p. 16). Cette forme d’injustice est alors structurelle.
Le groupe dominant est alors dans une incapacité à introduire ces modes de vies, de comprendre ces expériences quotidiennes et ces connaissances spécifiques, en raison d’un manque de ressources épistémiques.
Donc, l’ignorance blanche traduite par ces deux formes d’injustices traduit « l’absence de reconnaissance des membres de groupes subornées » comme étant des agents de connaissances valides (Bessone, 2020, p. 17). Et lorsque les groupes sont construits sous un rapport racial, alors cette ignorance du groupe dominant envers les subordonnés est appelée l’« ignorance blanche » par Charles W. Mills.
La race est alors une construction sociale et non une réalité biologique ; « les groupes raciaux sont le produit de processus de racisation et non pas des groupes universellement donnés, homogènes et naturels » (Bessone, 2020, p. 17).
Les solutions pour dépasser cette ignorance blanche
La solution la plus efficace reste la possibilité à accéder aux productions culturelles et de savoir des groupes subordonnés. Exactement comme le permet le mois de l’histoire des Noirs. Ce qui permettra d’intégrer dans le système de savoir blanc les expériences vécues, culturelles et les productions de savoir des autres groupes. Entrainant la possibilité de les comprendre et de les percevoir comme des partenaires égaux (Bessone, 2020, p. 18).
« C’est là que réside tout le tragique de notre époque : ce n’est pas que les humains soient pauvres (…) ; ce n’est pas que les humains soient méchants (…) ; ce n’est pas que les humains soient ignorants – qu’est-ce que la Vérité ? Non, c’est que les humains connaissent si peu les autres humains. » (Du Bois, p. 215).
L’ignorance qu’il s’agit de combattre est celle qui empêche la reconnaissance du statut égal de tous les humains à agir et penser leur monde (Bessone, 2020, p. 19).
Sources
W. E. B. Du Bois, Les âmes du peuple noir, trad. fr. Magali Bessone, Paris, La Découverte, 2007, p. 7, 8 (The Souls of Black Folks, Chicago, A. C. McClurg & co., 1903).
Bessone, Magali. « « Ignorance blanche », clairvoyance noire ? W. E. B. Du Bois et la justice épistémique », Raisons politiques, vol. 78, no. 2, 2020, pp. 15-28.
José Medina, The Epistemology of Resistance, Oxford, Oxford University Press, 2013.
Charles W. Mills, « White Ignorance », in Shannon Sullivan et Nancy Tuana (dir.), Race and Epistemologies of Ignorance, Albany, Suny Press, 2007, p. 11-38.
[1] Epistémique : production de savoir et connaissance