
Le 3 octobre 2022 au soir, rivée dans un divan douillet, tricot et alcool à la main pour tromper ma peine à venir ou fêter, si par bonheur…, j’ai vu tomber sans pouvoir se relever l’espoir d’une élection qui ne serait pas programmée d’avance.
Parce qu’une histoire trop triste pour tout le monde a mis knock out un député péquiste, dont le parti a occupé le poste pendant des décennies, Rimouski-Neigette a fait, le 3 octobre dernier, un pas à droite, comme il se doit — parce que c’est à la mode —, et a changé de «parti» en changeant de député. L’ex-maire Parent nous l’avait bien dit, et combien de fois ai-je entendu la chanson : c’est du «bon bord» qu’il faut voter[1], du bord du pouvoir, quel qu’il soit, et même si ça sent mauvais!
L’«élue[2]» de la CAQ dans notre région, choisie sans assemblée d’investiture, a mené une campagne à l’image de celle de son «cheuf» : crispée, sans âme, fermée au dialogue. Mais qu’importe! Les télés, les journaux, les experts, tout le monde l’avait annoncé bien avant l’élection : la CAQ allait passer en force, partout dans le pays. Majoritaire full pin! C’était écrit dans les médias et dans le ciel! Le ciel qui, comme tout le monde le sait, est bleu pourdre, tandis que l’enfer est noir, c’est ce qui arrive quand on mélange toutes les couleurs.
On le savait avant même d’aller voter.
On le savait en allant voter.
On le savait huit minutes après le début du dépouillement des urnes.
On le savait, mautadine!, on le savait!
La CAQ allait passer et la CAQ passa, et Maïté Blanchette-Vézina avec.
Rimouski lui a donné 41,75% de ses voix.
J’en ai perdu la mienne pendant quelques jours.
J’en ai saigné du nez.
J’ai jonglé avec l’idée de l’exil. Ah, mais non, j’ai déjà donné. Ça ne sert à rien. C’est partout pareil. Pensée unique quand tu nous tiens.
Rimouski-Neigette, pour vrai, tu crois que d’avoir voté CAQ va t’apporter ce que tu cherches tant? Regain et prospérité? C’est comme ça, la démocratie? Vote pour le pouvoir et le pouvoir fera preuve de reconnaissance… Donnant, donnant.
Je prévois ta désillusion.
Le projet de société? On n’en a rien à braire, ânes que nous sommes.
La démocratie? De quoi tu te plains, Patricia, tu écris ce que tu veux et tu n’iras pas en prison pour autant. On n’est pas en Corée du Nord, icitte.
Ben non, ben non, mais mes compatriotes viennent de voter pour un parti qui use, comme stratégie électorale, d’une très vieille ficelle : la diabolisation de l’autre, entendre ici mes camarades immigrants.
La planète est au plus mal. Le diagnostic est connu: leucémie des mers et des terres, cancer des forêts et des eaux, crise des lymphes énergétiques, dérèglements endocriniens du climat, ce rein qui s’épuise et expose le vivant à la destruction. Vrai!, la catastrophe n’est pas petite et menace de transformer la vie de nos enfants en un enfer qu’aucune langue ne saura nommer sans éclater en sanglots. L’industrie et le commerce paniquent, faute de main-d’œuvre. L’inflation, créée par une trop forte demande (qui vient de notre faim impossible à rassasier), réduit à l’insécurité financière de plus en plus de monde. 43 % des Québécois.e.s sont analphabètes fonctionnels[3] et c’est presque autant de gens que le système d’éducation nécrosé a échappés. Les urgences débordent. La détresse augmente au pays. Mais non, tout cela ne veut rien dire. Tous ces problèmes sont de faux problèmes. Pour sûr!
Parce que le vrai du vrai problème au Québec, celui qui est sur toutes les langues chargées de la contrée, celui que la CAQ a si justement prophétisé, c’est la langue française qui disparaît et qui «mourira»[4], si on ne vote pas Legault, matricule 21-96, mais pas 101!
Et pourquoi c’est un problème? Parce que les maudits immigrants, ‘stie!, qui sont violents et paresseux, nous suicident le culturel à tour de bras, ‘stie! Vive le français libre!
Oh, et puis, délicieuse cerise sur le sunday, Legault, avec son beau sourire de bon papa, il l’a dit, si on vote pour lui, il va nous envoyer un chèque, drette-là!
…….. (entendre ici un soupir exaspéré)
La seule chose qui me tient debout en ce moment, je vous le dis très sincèrement, c’est ma colère. Non pas contre toutes ces personnes qui ont voté CAQ, mais contre notre bêtise collective.
Nous sommes désespérants, car incapables de nous asseoir ensemble, quelles que soient nos visions du monde, pour réfléchir aux problèmes actuels qui transcendent toutes les idéologies et pour produire ensemble les solutions aux véritables problèmes. À la place, on (qui exclut celle qui parle) défend la prospérité as usual, tout en continuant à détruire ce qui, seul, peut assurer notre simple survie: l’environnement.
Pas grave. Mon chèque de 400 $ va arriver bientôt (à moins que je me fasse arnaquer avant). Je vais aller me payer une traite au restaurant (ça va leur donner du travail, les pauvres…) ou m’offrir cette petite robe, un petit-peu-pas-beaucoup-mais-tout-de-même chère, made in Pakistan englouti (faut eux aussi les aider… ma grandeur d’âme m’éblouit). Je mangerai mon sushi, habillée de neuf, proprette et coquette, en regardant s’effondrer la terrasse donnant sur les eaux que la mer sera en train de ronger. Belle soirée en perspective!
Allez, Tchin! Je bois (jusqu’à l’ivresse) à la santé de notre démocratie: Sic tritis requiem recigit.[5]
[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1309914/marc-parent-elections-federales-2019-gouvernement-financement-rimouski
[2] À la CAQ, il n’y a pas de campagne d’investiture comme dans les autres partis. C’est du niaisage tout ça.
[3] https://www.ledevoir.com/economie/597497/l-analphabetisme-coute-des-milliards-au-quebec
[4] Voyez comme le Mal est profond. Même l’ex-prof de littérature ne sait plus conjuguer le futur…
[5] Ainsi, [elle] se repose après avoir été écrasé[e.