
Nous vivons dans un monde créé par le marketing. Certains exemples sont flagrants. Pensons à Coca-Cola, qui a façonné l’image du Père-Noël qu’on connait aujourd’hui[1]. On peut aussi se tourner du côté de nos habitudes alimentaires, comme lorsque General Foods a lancé des campagnes publicitaires pour renforcer le message que «le petit déjeuner est le repas le plus important» dans le but de vendre plus de céréales[2]. Ou que dire du placement de produit, qui occupe une place prépondérante dans les séries télé, les films, les événements sportifs et sur les réseaux sociaux[3]?
La course aux armements publicitaires
Le principal problème d’un monde créé par le marketing est le suivant : il est extrêmement profitable pour certains, et les intérêts de ceux qui en profitent ne sont presque jamais alignés avec le bien commun. Dans une logique de marché, rien n’est absolu. On n’est pas riche parce qu’on a de l’argent dans notre compte de banque, mais bien parce qu’on a plus d’argent que les autres. Les entreprises qui opèrent dans un système capitaliste obéissent aux mêmes règles. Le but n’est pas d’être profitable, c’est d’être plus profitable que les autres. Et il y a deux façons d’arriver à ses fins, la première étant de faire la promotion à outrance des vertus de ce que l’on vend.
Cette stratégie peut être extrêmement lucrative, comme en témoigne la très prospère industrie de la publicité. Le hic avec cette stratégie, c’est qu’on tombe rapidement dans une logique de «celui qui crie le plus fort». Les annonceurs s’embarquent donc dans une course aux armements publicitaires sans fin. Cette stratégie est aussi extrêmement risquée, puisque s’il y a une chose certaine avec le marketing, c’est que c’est loin d’être une science exacte. Bref, vendre du hype, ça a ses limites.
Le marketing peut aussi nous permettre de nous enrichir d’une autre façon en détournant l’attention des alternatives. Sur le plan social, les impacts sont majeurs. Ainsi, là où le marketing devient réellement dangereux, c’est lorsqu’il s’acharne à nous vendre l’impression d’un monde meilleur quand, dans les faits, on maintient le statu quo. Dans ce cas, on ne nous vend pas du hype : on nous vend de l’indifférence. Et ça, est une stratégie payante à long terme.
Vendre l’indifférence
J’appellerai ceux qui parviennent à nous vendre cette illusion de changement les «marchands d’indifférence». Cette forme de marketing a pour but de vendre du changement qui ne change pas grand-chose.
Prenons un exemple concret des marchands d’indifférence à l’œuvre. Aux États-Unis, des lobbies de l’industrie bovine tentent de faire approuver un label qui certifierait du bœuf «low-carbon». Pour obtenir le label, les producteurs bovins devraient démontrer qu’ils sont capables de produire leur viande en émettant 10 % moins d’émissions de gaz à effet de serre que les producteurs «traditionnels». Or, les experts dénoncent déjà l’insignifiance du label[4].
C’est qu’une réduction de 10 % des émissions de gaz à effet de serre d’une des industries les plus polluantes sur la planète est nettement insuffisante pour avoir un impact réel sur l’environnement. Même que, plusieurs affirment que ça aura l’effet inverse : vendre du bœuf dit «low-carbon» ferait augmenter les ventes de bœuf, donc d’augmenter sa production, donc d’augmenter les émissions totales. Ensuite, une autre question se pose : ces producteurs produisent 10 % de moins que quoi? Selon certains analystes, le seuil de base établi par les promoteurs du label serait intentionnellement élevé, de telle sorte que la majorité des producteurs n’auraient pas à changer leurs pratiques actuelles pour être éligibles. Si cette certification est approuvée, les marchands d’indifférence s’en lécheront les babines, puisqu’ils continueront à engranger des profits faramineux tout en s’assurant que le consommateur moyen n’ait pas à changer ses comportements.
À une époque où nous avons un besoin criant de changement, les marchands d’indifférence sont plus dangereux que jamais.
[1] https://www.coca-colacompany.com/faqs/did-coca-cola-invent-santa
[2] https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2016/06/breakfast-the-most-contentious-meal-of-the-day/487220/
[3] https://www.nytimes.com/interactive/2022/06/23/arts/product-placement.html
[4] https://www.wired.com/story/low-carbon-beef/