
Sélectionnés pour leur biodiversité unique, les parcs nationaux attirent chaque année des touristes de tout horizon. Ces aires protégées, créées par le gouvernement provincial, sont des territoires représentatifs des régions naturelles de la province ou des sites à caractère exceptionnel accessibles au public pour des fins d’éducation ou de récréations extensives1. Certains animaux sauvages et plantes indigènes qui peuplent ces milieux naturels sont vulnérables ou en danger d’extinction et dépendent de la riche biodiversité de leur environnement pour survivre.
Aux États-Unis, le randonneur écossais John Muir amorça le projet de création des parcs nationaux américains dans le but de protéger de la destruction les quelques dernières forêts anciennes du continent. Écrivain et militant, il s’était donné pour mission de partager dans ses écrits la beauté de la nature afin que chacun s’engage à la protéger pour les générations futures. John Muir a vécu au temps où les anciennes forêts de séquoias géants recouvraient encore l’Ouest américain, « il sait qu’il a pu randonner – et c’est un privilège – dans ces forêts avant qu’elles ne soient dénaturées. […] les espèces animales et végétales ont connu de sérieuses et irréversibles disparitions, c’est vraisemblablement pour cela qu’il s’efforce de les lister dans son texte, comme lors d’une cérémonie des adieux2. »
Depuis quelque temps, le « trouble du déficit de nature » est exacerbé par l’industrialisation, la crise climatique et la pandémie, ce qui contribue à un achalandage historique dans les parcs nationaux3. La hausse du prix de l’essence, le réchauffement climatique et la nécessité de réduire les voyages par avion conduiront encore de nombreux touristes en quête de sens dans les parcs nationaux, qui doivent sans cesse s’adapter pour concilier tourisme et nature. Présentement, le tourisme de masse a une grande influence sur les décisions qui sont prises au sein des réserves naturelles, en fait, on n’hésite pas à compromettre l’équilibre des écosystèmes qui ont rendu ces parcs célèbres.
QUATRE PROFILS DE TOURISTES
Dans le cadre de l’écotourisme, les touristes sont classés selon quatre profils : les mordus verts, les occasionnels, les conscientisés non pratiquants et les conventionnels. Les mordus verts correspondent aux touristes qui ont un engagement fort pour l’environnement et qui aiment se sentir proches de la nature. Pour leur part, les occasionnels apprécient les activités sportives en lien avec la nature mais la protection de l’environnement n’est pas leur motivation principale. Les conscientisés non pratiquants sont décrits comme des touristes conscients des enjeux environnementaux mais qui ne sacrifieraient pas une destination rêvée par souci de protéger l’environnement. Enfin, les conventionnels représentent les touristes consommateurs qui apprécient le confort et le tout-inclus au détriment de l’environnement4. Les touristes de tous les profils se côtoient maintenant dans les parcs nationaux et cette proximité crée souvent des désaccords quant au besoin de respect de la nature pour les uns et au besoin de consommation de la nature pour les autres.
Si à l’origine, le logotype des parcs nationaux du Québec affichait trois valeurs fondamentales : protéger, conserver et découvrir, autour de 2018 la valeur « protéger » est devenue « partager ». En 2022, le logotype change à nouveau et les trois verbes représentatifs de la mission ont simplement disparu. Au fil du temps, les parcs nationaux sont devenus des endroits aménagés pour les humains plutôt que pour la faune sauvage. Pour répondre à la demande, les réserves ont accueilli de nouvelles infrastructures touristiques pour accommoder tous les profils de touristes, ce qui a causé la dégradation de la flore et un certain dérangement pour la faune, sans oublier que certains parcs nationaux sont déjà encerclés par des zones de coupes forestières intensives.
À l’autre bout du monde, la Tasmanie, reconnue comme le paradis de la randonnée pédestre, montre l’exemple et protège la totalité de ses forêts anciennes : 60 % de son territoire est protégé en parcs nationaux et en réserves5, ce qui lui a permis d’obtenir un bilan carbone négatif6. Sur cette île australienne, seuls le bivouac et la randonnée pédestre permettent de parcourir les vastes étendues de forêts et de montagnes, les autres installations touristiques étant minoritaires. Il est essentiel de permettre aux êtres humains de se reconnecter avec la nature, mais il ne faut surtout pas que cela empiète sur la flore indigène et sur la vie des animaux sauvages. Comme les êtres humains excellent dans l’art de l’étalement urbain, les parcs nationaux risquent de devenir soit des banlieues soit des jardins botaniques.
Contrairement aux réserves fauniques, les parcs nationaux font partie des rares lieux où les animaux sauvages sont encore à l’abri de la chasse et des autres nuisances humaines. Il est temps que les citadins invitent la nature en ville plutôt que d’urbaniser les derniers territoires sauvages. Ce sont les villes qui doivent s’inspirer des parcs nationaux et non l’inverse.
1. « Parcs nationaux du Québec », Wikipédia, 2022, https://fr.wikipedia.org/wiki/Parcs_nationaux_du_Qu%C3%A9bec
2. John Muir, Préserver les solitudes, Éditions Puf, 2020, p. 96-98.
3. « Les parcs de la Sépaq plus fréquentés que jamais l’été dernier », Espaces, 5 janvier 2021, https://www.espaces.ca/articles/actualites/11033-les-parcs-de-la-sepaq-plus-frequentes-que-jamais-lete-dernier
4. Observatoire de la consommation responsable, Guide de l’écotourisme au Québec, 2011, 84 p., https://maisonsaine.ca/uploads/2013/05/OCR-Guide-de-l-C3A9cotourisme-au-QuC3A9bec.pdf
5. Jennifer Ennion, « Principaux sentiers de randonnées et promenades de Tasmanie », Australia, 2022, https://www.australia.com/fr-fr/places/hobart-and-surrounds/guide-to-tasmanian-walking.html
6. Valérie Boisclair, « Voici comment la Tasmanie est devenue carbonégative », Radio-Canada, 21 mai 2022, https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/4129/tasmanie-bilan-carbone-negatif-forets-amenagements-bienfaits