
« Les Hot Chicken, deux policiers de la Sûreté du Québec, assureront le volet musical et joueront des chansons des années 1960 pour l’occasion. »
—43e Déjeuner des agents de la paix
Qui n’a jamais rêvé de se faire servir un deux-œufs-bacon par quelqu’un d’armé? Qui n’a jamais voulu déjeuner en compagnie d’un vrai Poupou, avant qu’on ne le découvre dans le coffre de sa voiture?
Ce rêve devient réalité en ce dimanche 1er mai. Aujourd’hui même, le 43e Déjeuner des agents de la paix bat son plein à Rimouski, en attendant de battre autre chose.
Le responsable du comité organisateur nous décrit l’happening : «Un bel événement convivial, où toute la communauté des agents de la paix est présente pour servir les déjeuners des gens.»1 Effectivement, dès 6 h 30, les gendarmes seront au garde-à-vous devant les poêlons, jusqu’à 11 h 30, où l’antiémeute interviendra pour diriger les derniers bruncheux vers la sortie.
Je souligne qu’à l’image de Pablo Escobar et de la fondation Chagnon2, la police fait aussi preuve de philanthropie en remettant les profits du déjeuner à une noble cause.3
La police philanthropique pourra donc redorer son image en servant des déjeuners à la Cage—Brasserie sportive, beurrant des toasts avec leur matraque, brassant le café avec le canon de leur gun et menottant des morceaux de jambon par solidarité, avant de se brouiller avec les œufs et d’étendre la confiture sur le sol avec le genou.
Agents de la paix avec un convivial Glock 19 à la ceinture
Un agent de la paix, c’est un joli euphémisme utilisé pour masquer ceux et celles qu’on appelle «police militarisée» ou plus précisément «bras armé de l’État possédant le monopole de la violence légale». Mais qu’importe, si cet agent de la paix sait casser le coco d’un œuf autant que celui d’un itinérant en psychose, je réponds «crevé-tourné, s’te plaît!».
J’ai jamais vu autant de ces waiters de casse-croûte du dimanche dans ma ville. C’est rendu que ça me donne faim. Comme le chien de Pavlov, j’associe omelette western avec police.
Chaque fois que je sors de chez moi, j’aperçois plusieurs gros VUS de la SQ qui rôdent, tous conduits par des diplômés de cégep munis de pistolets semi-automatiques, payés 100 000$ par année. C’est rassurant. Je me sens protégé contre les hippies à vélo qui ne font pas leur stop.
Une institution plein d’cash qui sollicite votre cash
Il y a quelques jours à peine, ce bon vieux journal Le Mouton Noir relayait dans ses pages une étude qui disait que le budget des services de police a fortement augmenté dans les dernières décennies, dépassant le rythme d’évolution des autres dépenses publiques.4
Selon la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, le budget de la SQ représente environ 1,1 milliard$, celui du SPVM, 772,6 millions$, et les autres corps policiers se partagent les 971,7 millions$ restants. Pas en reste, le budget de la GRC s’élève à 3,5 milliards de bidous seulement pour l’année 2021-2022.
Pourtant, selon l’étude, il est impossible d’établir un lien causal entre le niveau de dépenses dans les services de police et la sécurité de la population : « Investir dans la police n’entraîne pas nécessairement un plus haut niveau de sécurité au sein de la population », confirme un des chercheurs.
Imaginons qu’au lieu d’organiser des ti-déjeuners pour nous faire avaler les budgets des flics, qu’on définance la police? Qu’on redistribue le cash dans la prévention et vers d’autres services sociaux? J’entends déjà le milieu communautaire applaudir. Parce qu’une intervenante du communautaire, c’est ça une agente de la paix.
Rien de plus familial et relaxant qu’un brunch armé
Évidemment, ce p’tit déj n’est pas conseillé aux milliers de personnes ayant subi de la brutalité policière lors des manifestations de 2012, 2015 ou lors du G20 à Toronto ou à Québec. Manger ses bines en tremblotant, c’est kamikaze pour les boyaux, à moins de vouloir gazer la police. À noter que pour les gens non armés qui ne sont pas des agents de la paix, gazer autrui est illégal.
Douce ironie, l’évènement se déroule le 1er mai, la journée internationale des travailleurs et travailleuses. Cette journée de lutte ouvrière ferait référence au 1er mai 1886. Ce jour-là, à Chicago, se rassemble une immense foule ayant pour revendication la journée de travail de 8 heures. Des radicaux, toé. 200 agents de la paix font alors irruption, chargent et tirent les ouvriers, faisant plusieurs morts et une dizaine de blessés. Certains manifestants seront pendus pour avoir riposté.
Heureusement, la peine de mort a été abolie depuis, alors la population docile pourra bruncher en toute quiétude à condition de ne pas manifester son envie d’un refill de café équitable.
[1] https://www.lavantage.qc.ca/article/2022/04/29/ce-week-end-43e-dejeuner-des-agents-de-la-paix?fbclid=IwAR1Gs50HLgiNa6GGZeu2r1UXL-lgJak8thk91RMsQejfwYanOgKriak_UYo