Exclusivité Web

Planter des arbres va nous tuer

Par Gabriel Leblanc le 2022/05
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Planter des arbres va nous tuer

Par Gabriel Leblanc le 2022/05

En terminant ma maîtrise en Sciences de l’environnement, je me souvenais d’environ deux choses : 1- grâce aux industries capitalistes, c’est à peu près sûr qu’on crève toutes et 2- planter des arbres pour sauver le climat, ça change pratiquement rien.

Au départ, j’étais entré dans ce programme avec une certaine naïveté. Mon cerveau était tellement brainwashé par l’écobourgeoisie que je croyais en ses espoirs. Durant les premières semaines, on étudiait les systèmes biophysiques planétaires. Ce que nous relatait les scientifiques qui dispensaient les cours, c’est que la diminution de la biodiversité à l’échelle planétaire se fait plus rapidement que lors de la dernière extinction massive et qu’on a atteint un point de non-retour; que la fonte des glaciers est un phénomène en emballement qu’on ne peut plus dorénavant freiner et qu’on va mourrir noyés bin vite; que l’augmentation des GES est aussi quelque chose d’innarêtable pour plein de raisons (fonte du pergélisol, albedo, bla bla bla) et que nos enfants vont péter au frette asphyxiés1; et finalement, que les capitalistes ont tellement magané la planète que si une civilisation du futur venait qu’à renaître, elle pourrait voir la trace de leurs cochoneries dans les couches telluriques (ce qu’on appelle le « capitalocène »).

Un constat scientifique accablant, pour le moins qu’on puisse dire. D’ailleurs, je me sentais comme dans le livre Choke de Chuck Palahniuk, quand la mère de Victor lui dit un truc du genre : « à quoi va t’avoir servi d’être allé à l’école quand les terroristes vont débarquer pour te tuer? ». Les fesses à moitié sur ma chaise, je me demandais s’il n’était pas mieux que je cours sauver ma peau plutôt que d’attendre d’être assassiné froidement par les terroristes de la finance et de l’exploitation capitaliste. Comme dirait Hamlet : partir en panique ou faire des drogues dures, là était la question.

Nous voulons des solutions!

Faque, on fait quoi? On plante des arbres? Je ne veux pas vendre le punch, mais les professeurs avaient bien peu de solutions à proposer. Du moins, rien qui n’impliquait pas un changement radical. Et ils abordaient d’ailleurs les propositions à la pièce, celles du développement technologique pour compenser la destruction de la planète, de manière désopilante. Je les paraphrase :

Capter le carbone avec des machines qui ont besoin de carbone pour être construites et fonctionner? Hahaha. Ça change quoi à la fonte du pergélisol, ça?

Des crédits carbones pour compenser l’irresponsabilité des pollueurs? Pouvez-vous bien me dire en quoi ça va freiner la diminution incessante de la biodiversité, hahaha?

La biorémédiation des sols? Ok, mais les plantes qui ont décontaminé le sol et qui sont, maintenant, pleines de contaminants, on les met sur un autre sol ailleurs, hahaha? Ah, on pourrait les bruler et s’étouffer avec les métaux lourds libérés dans l’atmosphère, hahaha!

Je me souviens aussi de ce cours où, pour la première fois, j’avais été éduqué à la notion de « barrière prézygotique ». En Floride, plusieurs crocodiles sont incapables de se reproduire parce que les perturbateurs endocryniens libérés dans les eaux par les industries capitalistes créent des malformations génitales. Ainsi, les mâles, parfois, sont pourvus d’un micro-pénis qui rend la reproduction impossible. Personne dans la classe n’a osé suggérer de développer technologiquement une pilule d’élargissement phallique.

On nous transmettait l’idée que tous les indices laissant présager la fin du monde flashent rouge foncé. Proposer des plasters ici et là, comme des miroirs gigantesques libérés en orbite autour de la Terre pour dévier les rayons du soleil (c’est une vraie proposition), ne sont pas des « solutions ». La technologie peut peut-être effectivement ralentir la vitesse à laquelle nous frapperont le fond du trou, mais la collision avec le sol sera quand même brutale. Et lorsqu’on se mettait à creuser l’origine du rougissement des indices, on se ramenait inévitablement aux débuts de l’ère industrielle. Comme si le développement incessant du capitalisme, propulsé par un développement technologique facilitant toujours davantage l’exploitation des ressources naturelles, était ce qui nous mène vers les abysses.

Et si on semait trente milliards d’arbres?

D’accord, mais pourquoi? Pour perpétuer les rouages qui nous propulsent vers les conséquences scientifiquement prédites? Planter des arbres, ce n’est pas complètement stupide. Mais ça le devient lorsqu’on pense que ça nous permettra de maintenir le système économique en place.

Il est déjà trop tard pour maintenir nos acquis du présent. Les phénomènes en emballement que je décris plus haut ne peuvent pas être arrêtés. Inévitablement, nos modes de vie doivent changer. Par la force des choses ou par choix. Et ils changeront lorsque nous seront complètement indépendants du capitalisme. Par la force des choses ou par choix.

L’autre jour, je lisais un optimiste : « pas vraiment besoin de changer nos modes de vie… les énergies vertes arrivent! ». La plupart des technologies vertes évoquées n’existent pas encore et si elles arrivent un jour, ce sera sur une planète en feu. En plus, les énergies vertes, même dans nos rêves les plus fous, ne peuvent pas maintenir le même régime de consommation énergétique que nous offre le pétrole. Pour transiter vers les énergies vertes, il faut d’abord que le mode de vie ait changé! Mais pour l’heure, rien n’indique que les machines qui nous permettent l’extractivisme puisse fonctionner aux batteries à lithium, et rien n’indique que le lithium puisse être extrait avec des énergies vertes. Tout indique que l’extractivisme, c’est de la marde.

Planter des arbres, c’est cool. Dans le sens où plusieurs Youtubeurs se sont égo-filmés en le faisant et ils avaient l’air cool. Ça nous donne l’impression de jouer à Dieu en dictant à la nature comment se comporter. Trêve de blagues : planter des arbres, ça peut être quelque chose de bien. C’est d’ailleurs une pratique à peu près vieille comme l’humanité, planter des trucs. Mais, c’était fait par respect pour la nature. Et non pas pour continuer à l’exploiter sans remord. Planter des arbres sur le terrain du Costco à Rimouski pour l’empêcher d’être bâti, ça c’est en faire bon usage!

Je vais être down qu’on plante des arbres quand ce sera dans le but que nos enfants puissent se construire des maisons dans ces sociétés post-capitalistes, dans des collectivités coopérantes, capable de comprendre que le but, ce n’est pas de poursuivre notre chemin dans la voie de la destruction, mais bien d’harmoniser nos rapports avec les écosystèmes. Bien hâte que le solutionnisme écobourgeois comprenne le sens du mot « écologie ».


[1]     Le concept de « limites planétaires », développé par Johan Rockström (2009), est très éclairant à cet effet. Les limites planétaires sont les seuils que l’humanité ne devrait pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer. Parmi les huit limites chiffrées par les chercheurs, six sont déjà franchies.

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