
Les groupes de médecine de famille (GMF) ont été créés en 2002 à l’initiative du Parti québécois et de son ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, François Legault. L’objectif principal était de renforcer l’accès aux médecins de famille. Malheureusement, c’est un échec.
Anne Plourde, chercheuse postdoctorale à l’Université York et à l’IRIS, dresse un bilan très critique envers les groupes de médecine de famille (GMF) après 20 ans d’existence.1 Un modèle à revoir en profondeur, dit-elle.
Résumons le bilan
Alors que le gouvernement caquiste prévoit accroître leur rôle et leur financement au cours des prochaines années, les GMF n’ont pas rempli leurs promesses. Et cela, malgré le soutien indéfectible des gouvernements successifs et les fonds publics considérables investis dans ces cliniques en grande majorité privées. Ce modèle de première ligne concurrent des CLSC n’a pas permis d’atteindre les trois objectifs au cœur de sa mission : accroître l’accès de la population aux médecins de famille, favoriser le désengorgement des urgences et améliorer l’accès aux services psychosociaux de première ligne.
Le modèle des GMF est étroitement associé à la consolidation d’une «médecine inc.» de première ligne, car les GMF sont des entreprises privées financées par des fonds publics.
Quelques grandes lignes du bilan critique :
— Les ressources financières et professionnelles publiques octroyées aux GMF ont atteint une valeur de 340 millions de dollars en 2020-2021.
— Rien n’indique que le modèle des GMF permette d’augmenter la prise en charge de patient.e.s : certaines données indiquent que le ratio de patient.e.s inscrit.e.s par médecin pratiquant en GMF n’a augmenté que de 2 % en 6 ans, et d’autres indiquent qu’il a même diminué de 8 % entre 2014-2015 et 2018-2019.
— Le transfert de ressources professionnelles vers les GMF s’est traduit par une perte de services psychosociaux de première ligne offerts en CLSC. Pourtant, les CLSC sont un modèle public de prestation des services de première ligne unique au monde et reconnu à l’international pour son originalité et son caractère innovateur. Ces établissements publics, gérés démocratiquement sur une base locale, étaient destinés à offrir la gamme complète des services de santé et des services sociaux de première ligne.
L’entrepreneuriat médical prend une forme nouvelle
Dans ce bilan, l’autrice du livre Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé indique que « traditionnellement, les médecins pratiquant dans le secteur privé avaient un statut de travailleur ou de travailleuse autonome et géraient individuellement leur propre cabinet. Deux facteurs principaux sont venus bouleverser ce schéma et favoriser le développement d’une véritable «médecine inc.» de première ligne. Le premier est le développement d’une médecine de groupe dans le secteur privé. (…) Si la pratique de groupe est certainement une avancée par rapport à la pratique individuelle en cabinet, le fait qu’elle se produise dans le secteur privé a cependant créé un terreau fertile à l’essor de la «médecine inc.», caractérisée par le développement de véritables entreprises médicales capitalistes (et parfois même de chaînes d’entreprises), en voie de supplanter le modèle traditionnel des petits cabinets individuels. »
Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé? TELUS s’en fout!
La compagnie canadienne de télécommunications TELUS est active dans le marché privé de la santé. Elle est actionnaire d’au moins deux GMF avec d’autres investisseurs québécois qui ne sont pas des médecins. Cette chaîne de GMF est organisée en structure de propriété très complexe, avec pour résultat que les véritables propriétaires des GMF et le rôle joué par les entreprises impliquées demeurent nébuleux, nous dit l’étude. Par contre, on sait que le rôle de Telus ne se limite pas à posséder les bâtiments dans lesquels logent les GMF puisque ce sont d’autres entreprises qui sont propriétaires des immeubles.
Là où le bât blesse, c’est «qu’au-delà du rôle précis joué par ces entreprises actionnaires de GMF, on peut se demander quels profits celles-ci espèrent tirer de leurs investissements dans ces cliniques. Les modèles de GMF suggèrent que de l’argent public transite des GMF vers des investisseurs privés sans aucune transparence ni reddition de compte auprès du public.»
Cela fait dire au professeur des HEC, Yves-Marie Abraham, que «TELUS ne se fait pas seulement du fric en vendant des forfaits téléphoniques hors de prix, mais aussi en récoltant la manne étatique distribuée dans les Groupes de médecine de famille (GMF).»
À Rimouski, la corporation TELUS règne en maître et s’impose dans la cité. Malgré les témoignages d’employé.e.s en détresse psychologique causée par leur travail aliénant chez la compagnie, on la considère comme créatrice de richesses. Plusieurs anciens employés m’ont avoué avoir subi d’énormes pressions exercées par l’entreprise. La vérité, c’est que TELUS s’enrichit au détriment de notre santé.
Conclusion du bilan
Ce modèle de santé devra être revu en profondeur sous au moins trois aspects :
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Il est impératif de retirer la première ligne des mains du secteur privé à but lucratif;
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La gestion de ces organisations et des fonds publics considérables qui y sont investis doit se faire de manière transparente, publique et démocratique;
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Il faut recentrer les services de première ligne sur l’équipe multidisciplinaire complète (services de prévention des maladies et des problèmes sociaux, promotion de la santé, services curatifs non spécialisés et l’accueil psychosocial) afin que l’accès aux services ne dépende plus prioritairement de l’accès aux médecins et que les besoins sociosanitaires non médicaux puissent trouver des réponses non médicales.
Bref, si l’on continue de gérer nos institutions de santé à l’image de corporation comme TELUS, ne nous surprenons pas ensuite si notre société est malade.