Exclusivité Web

Lettre d’amour aux Ministres de la guerre

Par Patricia Posadas le 2022/04
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Exclusivité Web

Lettre d’amour aux Ministres de la guerre

Par Patricia Posadas le 2022/04

Chers Ministres de la guerre,

En cette période réjouissante de guerre en Ukraine, permettez-moi de sortir enfin du placard de la bien-pensance. Je vous le dirais tout net: I love the bomb!

J’aime les va-t-en-guerre, les défilés militaires, les roulements de tambour qui accompagnent les roulements d’épaules, la beauté du pas cadencé, du pas carré millimétré qui met en scène les armées de fourmis, les guerriers-prêts-à-tuer, prêt-à-mourir… Je vibre au spectacle de l’émotion des mamans subjuguées par la beauté de leurs enfants pré-enbaumés dans leur bel uniforme aux boutons chromés, la fierté des papas qui enterrent leurs enfants parés de gloire et de drapeau. 

J’aime les guerriers surentraînés, dont le rêve le plus fou est de se servir enfin de leur savoir si durement acquis, de leurs armes si performantes, extensions mécaniques et rutilantes de leur corps de cyborg. Les officiers sont mes préférés. Ce sont les braves agents de la destruction salvatrice. Oui, salvatrice, car sans eux, pas de reconstruction, par tant pas de boom économique aux lendemains foireux. Sans eux, pas d’histoires tragiques non plus pour nourrir les grands classiques littéraires (pas de Guerre et Paix, ni de À l’ouest rien de nouveau) ni de chefs-d’œuvre hollywoodiens non plus (pas d’Apocalypse Now, ni de Docteur Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb). La guerre est une source infinie de création! 

De plus, comme vous n’êtes pas sans le savoir, les guerriers sont les seuls et les véritables gardiens de la paix, car qui veut la paix prépare la guerre, n’est-ce pas? On sait cela depuis l’Antiquité romaine et quelque deux mille ans plus tard on en est exactement au même point! Quelle sagesse! Quelle évolution! Quelle magnifique vue de l’esprit sur le grand néant philosophique du vade-mecum guerrier.

Tout comme vous, je reconnais l’œuvre bénéfique du meilleur allié du soldat. Mesdames et Messieurs, au milieu de la foule infâme des pacifistes (ces pleutres, véritables ennemis de la nation), se dressent le fabricant d’armes. Voilà un compagnon de route pur et désintéressé qui consacre sa vie et son œuvre à produire la paix qui se vend cher, certes, mais le jeu en vaut la chandelle. Qui peut dire le contraire sans faire preuve d’une mièvrerie suicidaire ou d’un vil et dangereux antipatriotisme? Car, disons-le tout rond, les fabricants et les marchands d’armes sont de vrais patriotes à la fortune philanthropique, eux qui consacrent leur vie à préparer la paix en fournissant les armes qui soutiendront l’œuvre de nos enfants-soldats. Sans oublier, vous le savez fort bien, que leurs usines de morts sont source de vie (et de salaire imposable) pour des milliers de travailleurs et de travailleuses, chargés d’enfants. Moi aussi, je serais fière de travailler dans une usine d’armement, fière de savoir que le fruit de mon travail est une garantie de paix et ne donnera la mort que si et seulement si des méchants nous menacent, comme en Irak, où les méchants avaient si bien caché leurs armes de destruction massive, les salauds, qu’on ne les a jamais retrouvées. 

Quelle paix régnera sur cette planète arasée dont les voix discordantes se seront tues dans le champignon nucléaire?

Je ne me peux plus de joie à l’idée de ce silence abyssal, le même qu’à Hiroshima ou Guernica, qu’à Verdun ou Alep, qu’à Marioupol ou Bagdad, qu’à Sarajevo ou Hodeida après le sidérant chant des bombes fécondes.

Je me sens en harmonie avec le lieutenant-colonel Kilgore qui, dans Apocalyse now, déclare: «J’aime l’odeur du napalm le matin. […] L’odeur, tu sais, cette odeur d’essence, sur toute la colline. Ça sentait… la victoire.» Mais je l’aime moins lorsqu’il ajoute, au son des bombes qui explosent en arrière de lui sans même qu’il sursaute : «Un jour cette guerre va finir.»

Mais oui, un jour, la guerre va finir, hélas,

faute de combattants, 

faute d’ennemis, 

faute de nous, 

dans un grand éclat de rire galactique devant la bêtise de cette expérience ratée appelée humanité…

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