
Si de nombreux cas de rénovictions qui ont eu lieu à Montréal et à Québec ont fait les manchettes au cours des dernières années, le phénomène est peu documenté au Bas-Saint-Laurent. Les cas de rénovictions se multiplient pourtant très rapidement un peu partout dans la région, en particulier depuis le début de la pandémie de COVID-19. C’est à Rimouski, où le taux d’inoccupation est l’un des plus bas dans toute la province, que le phénomène est le plus marqué, mais on a également observé des tentatives de rénovictions au cours des derniers mois dans plusieurs municipalités de La Mitis, des Basques et du Kamouraska. Quelques clarifications s’imposent pour s’outiller individuellement et collectivement afin de faire face à ce phénomène.
RÉNOVATION, ÉVICTION OU RÉNOVICTION?
Un propriétaire ou une propriétaire qui veut faire des rénovations dans un logement qui lui appartient a le droit de le faire, mais a l’obligation de préalablement informer les locataires par un avis écrit. Si une évacuation du logement est nécessaire le temps de faire les travaux, il ou elle doit offrir aux locataires un endroit où se reloger ou verser une indemnisation en argent, en plus de les informer sans faute de la date à laquelle ils pourront réintégrer le logement.
Les seuls cas où des travaux de rénovations peuvent légalement forcer un ou une locataire à quitter son logement, c’est lorsque ces travaux sont faits pour des motifs précis et définis par la loi :
1- S’il s’agit de travaux de subdivision (ex. : faire deux 2 ½ avec un 5 ½),
2- S’il s’agit de travaux d’agrandissement (ex. : faire un 6 ½ avec deux 3 ½),
3- Si les travaux ont pour but de changer l’affectation du logement (ex. : transformer l’immeuble à logements en commerce).
On parle alors d’une éviction au sens de l’article 1959 du Code civil du Québec, et une procédure particulière doit être suivie pour que la démarche soit valide. Bien que déplorable, l’éviction est alors légale.
Au contraire, on parlera d’une rénoviction lorsque des rénovations ne sont pas motivées par l’une des trois situations précédentes et qu’un ou qu’une propriétaire utilise ce prétexte pour évincer illégalement les locataires de son immeuble.
LE LOGEMENT COMME MARCHANDISE ET LE DROIT AU LOGEMENT
Dans le cadre d’une tentative de rénoviction, il n’est malheureusement pas rare que les locataires qui décident de défendre leur droit à demeurer dans leur logement soient victimes d’intimidation, de harcèlement et d’autres pratiques abusives allant du changement des serrures à la coupure de l’eau chaude ou de l’électricité alors que les locataires occupent encore le logement, sans oublier le retrait d’un escalier sans aucune forme de préavis. De plus, bien que la rénoviction soit une pratique illégale, les locataires qui en sont victimes possèdent bien trop peu d’outils pour faire valoir leurs droits devant le Tribunal administratif du logement, et les autorités municipales considèrent souvent qu’il n’est pas de leur ressort d’agir sur cet enjeu. En ce sens, des actions législatives protégeant mieux le droit au maintien dans les lieux des locataires sont absolument essentielles. Un registre obligatoire des loyers, par exemple, pourrait facilement être mis en place à l’échelle de la province ou même d’une municipalité afin de permettre aux locataires de connaître le prix du loyer payé avant leur arrivée dans un logement et ainsi limiter les hausses complètement ridicules qui motivent généralement les rénovictions.
Plus généralement, il faut garder en tête que les rénovictions ne sont qu’une des manifestations de la crise du logement qui touche le Bas-du-Fleuve depuis deux ans et qui ne semble pas prête de se terminer. Pour sortir de cette crise, il faut comprendre que si on en est arrivé là, c’est parce que dans le marché privé de l’habitation locative, les maisons et les appartements à louer sont des marchandises dont le prix et les autres critères d’attribution sont fixés selon la loi de l’offre et de la demande. Cette conception du logement est profondément incompatible avec une autre vision voulant que le logement soit d’abord et avant tout un droit fondamental. Tant que nos logements seront des marchandises, nous qui y habitons serons à la merci des rénovictions, des hausses de loyer abusives et des discriminations si courantes sur le marché privé, particulièrement en temps de crise.