
Je vous écris depuis l’autre bout du monde : ma conjointe ayant obtenu un emploi en Asie, nous avons quitté le Québec fin novembre. L’occasion fut belle de tester le transport interurbain au départ de Rimouski et de constater à quel point le Bas-Saint-Laurent est déconnecté du reste du monde.
Notre mission n’était a priori pas compliquée : rejoindre l’aéroport de Montréal avec un enfant de deux ans et cinq grosses valises. Pourtant, elle nous a donné plusieurs maux de tête et nous a coûté une petite fortune.
Première option testée : le bus. Le prix atteint 390 $ pour trois personnes qui auront le privilège de voyager pendant huit heures et demie (départ à 8 h, arrivée à 16 h 30 à Montréal-Trudeau) sur des sièges au confort spartiate, avec deux changements de véhicule à la clé. L’heure d’arrivée ne nous permet pas d’attraper notre vol programmé à 18 h, sachant que nous devons en plus subir un test PCR et attendre le résultat pendant une heure. Il faudrait donc rajouter une nuit d’hôtel à notre escapade, dont on peut estimer la facture à 500 $.
Rendre notre long voyage encore moins écologique en faisant Mont-Joli-Montréal en avion? Cela prend à peine deux heures, mais il en coûte au total 800 $, auxquels il faut ajouter le coût des bagages (110 $ dans notre cas), tout cela pour arriver en soirée (20 h 20) et donc devoir payer un hôtel…
Le train s’impose comme le moins mauvais choix : 267 $ pour trois personnes. Il faut toutefois partir en plein milieu de la nuit, à 2 h… sans compter que le confort est également rudimentaire, sur des sièges à peine inclinables. Au moins, on est chanceux : le seul passage hebdomadaire du train, dans la nuit de mercredi à jeudi, correspond à notre date de départ.
Car oui, après 16 mois d’absence pour cause de pandémie, le train a repris les rails le 11 août dernier, mais une seule fois par semaine! Un deuxième voyage s’est ajouté en décembre, et le retour aux trois trajets hebdomadaires devrait se faire à l’été 2022. Si les élus municipaux du Bas-Saint-Laurent se sont beaucoup indignés du retrait d’Air Canada de la région et ont expliqué que cela nuisait aux « gens d’affaires », cette quasi-disparition du train de voyageurs s’est faite dans un silence assourdissant.
VOYAGE AU 20E SIÈCLE
Un constat aberrant s’impose : il revient bien moins cher de faire ce voyage en voiture! L’aller-retour représente 1 100 km, donc même en empruntant une minivan qui consomme pas mal, on ne dépasse pas les 200 $. On peut payer une chambre d’hôtel au bon samaritain qui vient nous porter et en sortir gagnants. En d’autres termes, dans ce Canada qui prétend un jour devenir carboneutre, les choix les plus écologiques ne sont pas encouragés et, à la fin, c’est toujours l’auto solo qui gagne. Souffrant déjà d’une crise aiguë d’écoanxiété à l’idée de traverser la planète en avion, et un peu gênés de faire déplacer quelqu’un pour nos beaux yeux, on résistera à cette option.
On finira par craquer complètement et choisir l’une des options les plus chères : le train, mais en couchettes! Pour des raisons incompréhensibles qu’on nous dit liées à la Covid, une famille avec enfant en bas âge n’est plus acceptée dans une cabine de deux couchettes. On devra donc réserver deux de ces compartiments, pour une facture totale de 800 $, et un voyage de plus de huit heures.
On ne le regrettera pas : bien reposée, la famille affrontera la suite du voyage dans les meilleures conditions. Notre fille adorera l’expérience, dans ce train au charme suranné où trônent des affiches qui ont facilement 20 ans – quel âge peut bien avoir aujourd’hui ce sympathique monsieur à l’immense barbe blanche qui vend des tomates à l’île du Prince-Édouard?
Les utilisateurs réguliers, eux, sont un peu fatigués de cette désuétude : « Tous les wagons de la flotte sont arrivés à la fin de leur vie utile. Des tronçons du chemin de fer nécessitent également des travaux importants et il n’y a toujours aucun plan de financement pour résoudre ces problèmes », déclarait en juillet dernier à Radio-Canada le président de Transport Action Atlantic, Ted Bartlett. Les retards sont systématiques – on peut même s’inscrire à un service d’alerte par courriel pour en être informé.
On ne le rappellera jamais assez : au Bas-Saint-Laurent, la principale source d’émissions de gaz à effet de serre est le transport, gros consommateur de pétrole. Si l’on veut s’attaquer sérieusement aux changements climatiques, il faudra bien, un jour, proposer un transport interurbain abordable et de qualité… Malheureusement, cette réflexion n’arrive que sporadiquement, et dans un contexte d’urgence, lorsque les compagnies font des coupes dans des services qui ne peuvent être rentables, tant ils semblent conçus pour décourager d’éventuels utilisateurs.