
C’était en deux mille quinze
En 1974, le groupe Ange écrivait La bataille du sucre1. J’écoutais cette chanson en frémissant et me disais qu’ils avaient dû faire un sacré bad-trip pour écrire de telles paroles sur une telle musique. À l’époque, la peur de la guerre nucléaire noircissait l’horizon. Aujourd’hui, ce sont les changements climatiques, causés par la surproduction et les modes de consommation que cela génère, qui nous mettent en danger sans que le premier péril ait véritablement disparu. Certes, nous ne léchons pas encore les larmes de nos enfants, comme le dit la chanson, pour voler le dernier sucre de cette terre, nous faisons mieux: nous détruisons leur avenir. Et il y a fort à parier que le Canada est «le plus meilleurs pays» au monde en la matière.
Alors que les changements climatiques dévastent pour la troisième fois cette année la Colombie-Britannique (dôme de chaleur, incendies et inondations d’une ampleur inégalée, mélangés à la sauce Covid), obligeant le gouvernement de Trudeau, fier acquéreur du décrié pipeline Trans Mountain, à envoyer l’armée pour porter secours aux sinistré.e.s (et à son pipeline menacé par les eaux)2, pour tenter de sauver les animaux de ferme, en vain hélas, tandis que les chaînes d’alimentation menacent de craquer, ce même gouvernement, dans la même province, en même temps, envoie la GRC contre les Wet’suwet’en3 et des manifestants pacifiques qui cherchent à protéger le territoire d’un énième pipeline, cause directes4 et indirectes de toutes ces catastrophes. Ce ne sont pas des gardiens de la paix qui sont intervenus, mais des forces militaires lourdement armées et brutales qui considèrent les citoyen.ne.s s’opposant aux projets pétroliers comme des ennemis5, ni plus ni moins. Par le fait même, ces protestataires deviennent les cibles d’une violence policière qui s’exerce sur celles et ceux qui, pourtant, cherchent à protéger le territoire. Ainsi, la GRC devient le bras armé de ce qui est la cause de tant de destruction. C’est à n’y rien comprendre!
Les scientifiques se tuent à nous dire de cesser l’exploitation des hydrocarbures au plus sacrant, appellent à un changement de régime de production afin de donner une chance à notre avenir, mais les compagnies restent maîtres du monde et il n’est pas question de renoncer au développement économique (entendre le développement des profits des actionnaires), quel qu’en soit le prix à payer, même si cela hypothèque le devenir de nos enfants.
On aurait pu croire que l’été calamiteux de cette année 2021 aurait réussi à allumer les consciences… Il n’en est rien.
Une interdiction assortie de cadeaux
Au Québec, le premier ministre Legault, qui se prépare pour les prochaines élections, veut interdire l’exploration et l’exploitation pétrolière sur le territoire du Québec, tout en sachant que cette industrie était de toute façon vouée à l’échec (stocks insuffisants, extraction difficile, réservoir enchâssé dans des zones hydriques importantes, etc.). On pourrait croire que le gouvernement caquiste vire au vert, mais il n’en est rien. Ainsi, il se tourne avec enthousiasme vers le gaz (dit) naturel et l’hydrogène comme énergies de remplacement6, démontrant ainsi son absence totale de compréhension de la gravité de la crise climatique et de ses causes (surutilisation des énergies fossiles et surproduction qui entraînent tous les dégâts écologiques que nous observons).
Pire encore, plein de compassions pour les pétrolières touchées par cette interdiction plus que nécessaire, le gouvernement annonce d’emblée des compensations… Des compensations? Vraiment? Mais pour quelles raisons? Pour avoir acheté des claims à bas prix? Pour ne pas avoir créé d’emplois comme elles le promettaient? Pour avoir profité de fonds publics à outrance (entre 69 et 100 millions de dollars selon les estimations rien que pour l’aventure calamiteuse d’Anticosti7)? Pour avoir poursuivi en justice des villes et des petites communautés8 et à trois reprises au moins le gouvernement9 lui-même? Pour ne pas avoir pris soin du territoire et pour avoir voulu nous enfoncer dans la gorge une industrie dont on connaît depuis longtemps tous les méfaits partout sur la planète: puits abandonnés,10 eaux polluées11, changements climatiques…?
Loi ou pas, les compagnies pétrolières ont déjà reçu moultes subventions publiques12 et ont considéré, par le fait même, que nous étions propriétaires de leurs souillures et qu’il reviendrait à l’État québécois (c’est-à-dire nous) de faire le ménage13 après leur départ.
Une pétition : #finilescadeaux
Le Centre québécois du droit à l’environnement a soumis une analyse au gouvernement afin de démontrer que les soi-disant compensations ne sont pas obligatoires14. Dans la foulée, presque 40 organismes, tant environnementaux que dédiés aux causes sociales, ont lancé une pétition allant dans le même sens: #finilescadeaux. Il faut la signer à deux mains, parce que si on faisait le tableau en deux colonnes de ce que ses entreprises ont payé à l’État et de ce que l’État leur a donné en subventions et «indemnisations» diverses, il est probable que la deuxième colonne serait plus lourde que la première15. Sans compter que cette fausse indemnisation détournerait des fonds publics de mission bien plus nécessaires pour soutenir les services publics (santé, éducation), le logement social (le gouvernement se détourne du programme AccèsLogis16), l’aide internationale… L’argent de nos impôts ne doit plus servir à financer les pollueurs, mais à préparer la transition vers une société plus juste, plus sobre, plus responsable envers l’héritage qu’elle lèguera à ses enfants.
Il est fini le temps du «rêve» pétrolier qui se révèle être la source de nos «cauchemars». Demandez aux Britanno-Colombien.ne.s ce qu’ils en pensent.
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Les paroles de La bataille du sucre (https://www.youtube.com/watch?v=66eKHaE_aPs)
Le conteur:}
C’était en deux mille quinze
Et Noël approchait
Et comme en quinze cent quinze
Les enfants attendaient
Le problème était là,
Bien fiers devant nos portes
Nous étions blêmes et las
Devant le grand cloporte
N’y avait plus de sucre
La Terre n’en donnait plus
L’avait creusé sépulcre
Et ne répondait plus !
A un prix d’or
Sœur Saccharine vendait ses prières, Le Beau
Oui mais alors,
Plus rien ne sert de racler la pierre ! Le Niais
{Le conteur:}
C’était en deux mille quinze
Et Noël approchait
Et comme en quinze cent quinze
Les enfants attendaient,
Et les heures qui filaient
Aussi promptes que l’oiseau
Et les chiens qui crevaient
A renifler de l’eau
N’y avait plus de sel
La Terre n’en donnait plus,
Pour faire du sucre on prit du sel,
Deux mille quatorze ou treize, je ne sais plus !
{L’enfant:}
Et le béton toujours vainqueur
Semait tristesse sur notre atoll,
Faisant valser nos cœurs-moteur
En une morne farandole
{Le conteur:}
C’était en deux mille quinze
Et Noël arriva
Ce fut un deux mille quinze
Pour les enfants sans joie,
Devant leurs verts sapins
Aux branchages plastiques,
Comme des santons-pantins
En serviettes périodiques,
Leurs visages grisaillèrent,
Leurs yeux devinrent néons,
Ils avaient fait la guerre
Pour sucer un bonbon !
Les enfants s’éteignirent
Un à un en pleurant,
Rendirent dernier soupir,
Devinrent beaux comme avant.
Indifférents et délaissant le drame,
Les parents assoiffés léchèrent les larmes
De leurs enfants frustrés,
Pourquoi me direz-vous ?
Parce qu’elles étaient sucrée
[2] https://lactualite.com/actualites/loleoduc-trans-mountain-est-temporairement-ferme-en-raison-dinondations/
[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1842212/wetsuweten-coastal-gaslink-cb-camp-lutte-environnement-pipeline
[4] https://plus.lapresse.ca/screens/41701642-4aab-4803-8f70-eee090c7b49d__7C___0.html?utm_content=facebook&utm_source=lpp&utm_medium=referral&utm_campaign=internal%20share&fbclid=IwAR2T1DbPp_xmTDZWdOMlSsG2WAc4j4JGB5jK_w9N3Wwh6Dv3xEcD8l5tg4I
«Au moment du passage de La Presse, la voisine de M. Zillwood, dont la résidence est toujours intacte, est venue prendre de ses nouvelles. Les deux voisins pestent contre la société Enbridge et son pipeline, qui passe tout près. « Ils ont fait des coupes à blanc pour leur pipeline, mais ils ont laissé les arbres coupés sur place. Ce sont ces billots qui ont tout détruit. »— Graham Zillwood, résidant de Hope. Sa voisine acquiesce. « On devrait les poursuivre », ajoute-t-elle, avant de retourner chez elle.»
[5] «Le recours autorisé à la force policière « létale » [mortelle] pour déloger des Autochtones opposés à la construction d’un pipeline de gaz naturel en Colombie-Britannique, en janvier dernier, soulève l’indignation des Premières Nations et des défenseurs des droits de la personne.
Les policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont reçu l’autorisation de tirer sur les manifestants et de recourir à toute la « violence » nécessaire pour démanteler une barricade érigée par des Autochtones non armés, a révélé une enquête du quotidien britannique The Guardian.» https://www.ledevoir.com/societe/569589/colombie-britannique-la-violence-pour-proteger-un-gazoduc
[6] https://www.ledevoir.com/economie/652125/energie-des-centaines-de-millions-pour-l-hydrogene-et-les-bioenergies
[7] https://www.ledevoir.com/politique/quebec/504466/fini-l-exploration-petroliere-sur-l-ile-d-anticosti
[8] Qui peut oublier la poursuite Gastem contre Ristigouche-Sud-Est, poursuite destinée à casser les reins de la petite ville qui se tenait debout? Au final, Ristigouche a gagné. Gastem a perdu et a été condamnée à payer les frais de justice de Ristigouche, ce qui ne fut jamais fait, la compagnie ayant déclaré faillite. Comme la MMA dans le cas de la tragédie de Lac-Mégantic…
[9] https://www.lesoleil.com/2021/04/21/une-troisieme-poursuite-de-firme-petroliere-contre-le-gouvernement-du-quebec-cette-fois-de-pieridae-energy-0e723d5a7de15d984d531dc0faa62d3f
[10] https://www.ledevoir.com/societe/environnement/650763/environnement-le-gouvernement-ignore-les-couts-du-nettoyage-des-puits-petroliers-et-gaziers-au-quebec et, pour se faire peur, une information au niveau mondiale: https://www.science-et-vie.com/nature-et-enviro/des-millions-de-puits-abandonnes-les-sales-fantomes-du-petrole-47928?uid=NTU0Nzk0
[11] https://www.msn.com/fr-ca/actualites/est-du-quebec/contamination-de-l-eau-au-site-de-forage-bourque/ar-AARsIcm
[12] «1097$US par habitant : subventions aux énergies fossiles au Canada» en 2019 https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2019-05-10/des-subventions-de-54-milliards-pour-les-energies-fossiles#
«D’après les calculs du FMI, en 2020, la production du charbon, du pétrole et du gaz a été subventionnée à hauteur de 5,9 billions (5.900.000.000.000) dollars. Ce qui correspond à 11 millions de dollars par minute, sur l’ensemble de l’année.» https://fr.businessam.be/fmi-lindustrie-fossile-recoit-11-millions-de-dollars-de-subventions-chaque-minute/
[13] https://www.ledevoir.com/societe/environnement/650763/environnement-le-gouvernement-ignore-les-couts-du-nettoyage-des-puits-petroliers-et-gaziers-au-quebec
[14] https://www.cqde.org/fr/nouvelles/le-cqde-confirme-la-souverainete-de-lassemblee-nationale-pour-mettre-fin-aux-activites-dhydrocarbures-au-quebec-rapport-de-recherche/
[15] «De 2011 à 2021, le gouvernement du Québec a obtenu environ 12 millions de dollars en frais payés pour le maintien de tous les permis d’exploration, selon des données obtenues auprès du MERN. Au cours de la même période, il a dépensé plus de 120 millions de dollars dans des projets pétroliers qui n’ont jamais vu le jour.»
[16] https://pivot.quebec/2021/11/26/le-gouvernement-legault-abandonne-la-construction-de-logements-sociaux/
Cette nouvelle a été très peu couverte par les médias traditionnels. Pourtant, il s’agit d’une catastrophe.