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RIVIÈRE-DU-LOUP : QUAND DÉVELOPPEMENT RIME AVEC DÉBOISEMENT

Par Jean-Francois Vallée le 2022/01
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RIVIÈRE-DU-LOUP : QUAND DÉVELOPPEMENT RIME AVEC DÉBOISEMENT

Par Jean-Francois Vallée le 2022/01

Notre premier portrait, sur La Pocatière, a montré que le nouveau conseil municipal aura du pain sur la planche en matière de protection pérenne des boisés urbains. Nous annoncions aussi que Rivière-du-Loup, de son côté, avait adopté une politique l’automne dernier. Mais cela veut-il dire que ses boisés sont à jamais protégés de tout développement ? Quelles menaces planent toujours sur les espaces vierges qui tiennent tête à l’expansion effrénée de la ville? Ce second reportage répondra à ces questions.

Le 5 octobre 2021, à la suite d’une consultation citoyenne, la Ville de Rivière-du-Loup adoptait une Politique de l’arbre1 appuyée par plus de 85 % des répondants au processus de consultation. Cette politique constitue une avancée réelle dans la gestion et la protection des arbres et des boisés de la ville. Le document d’une dizaine de pages « reconnaît l’importance des arbres et s’engage à la protection de la canopée ». La Ville affirme vouloir s’engager ainsi clairement pour, d’une part, « l’environnement et la lutte aux changements climatiques, la mise en valeur et l’attractivité de la ville » et, d’autre part, pour « la santé publique et les bénéfices sociaux de la présence d’arbres ».

Très bien conçu, le document détaille sous forme de tableaux et de listes les avantages environnementaux, sociaux, économiques et esthétiques de la préservation des arbres et de la canopée. Rien ne semble laissé au hasard : parmi ses bienfaits, on mentionne même « l’augmentation de l’activité économique reliée à l’entretien des arbres » et la hausse de « la richesse foncière associée à un milieu de vie exemplaire ».

Elle contient également certains chiffres aussi révélateurs que saisissants : de 2011 à 2020, si la Ville atteste avoir planté, d’une main, 1 564 arbres, elle a autorisé, de l’autre, la coupe de pas moins de 5 203 d’entre eux, pour une perte totale de 3 639 arbres matures.

Lucide, la Politique reconnaît que « la canopée est en diminution progressive sur le territoire » et que « certains quartiers ou secteurs sont plus dénués d’arbres que d’autres, ce qui entretient des inégalités sociales et sanitaires ». De plus, « les règlements protégeant la canopée sont périodiquement remis en question, et parfois soumis à des actes de désobéissance » malgré des amendes de 500 $ par infraction. C’est dire qu’une partie de la population doit être conscientisée.

L’ÉCART ENTRE INTENTIONS ET ACTIONS

Politique de l’arbre ou pas, il reste qu’en fin de compte, les seuls boisés protégés de façon permanente à l’intérieur comme à l’extérieur du périmètre d’urbanisation sont les rares qui ont la chance de pousser sur des terrains « non constructibles ».

Ce périmètre peut être étendu moyennant l’accord de la MRC, expansion qui se fait essentiellement sur des terres boisées ou agricoles. Le plus vaste secteur boisé à statut précaire situé à la fois près du centre-ville et près d’un secteur résidentiel est le boisé du Ruisseau, vaste forêt percée de longs sentiers officieux, non entretenus et non balisés. Visible derrière le magasin Walmart et l’Hôtel Universel, il ne figure pas pour l’instant dans le périmètre d’urbanisation. N’empêche : il est assiégé de toutes parts. Côté sud, la Ville vient de faire une demande pour agrandir ce périmètre afin d’autoriser un éventuel développement résidentiel de 18 hectares2, soit l’équivalent de 25 terrains de soccer, à l’ouest de la rue des Mélèzes, au bout de la rue De Chauffailles, près du Centre hospitalier régional du Grand-Portage. Côté nord, on trouve les terres en friche vouées à l’expansion de la zone commerciale régionale, situées derrière l’Hôtel Universel et les concessionnaires automobiles. On y prévoit entre autres l’installation d’une quincaillerie Canac-Marquis. Le reste du quadrilatère boisé vient se heurter aux autoroutes 20 et 85, en forme de pointe vers l’ouest… La partie en pente, la plus intéressante pour la marche et la plus variée en essences d’arbres, se trouve pour l’instant hors périmètre d’urbanisation, mais presque tous les terrains qui le composent, zonés blanc, sont privés et pourraient éventuellement être développés. Or, plus on enclave un boisé, moins il devient accessible et attirant.

Transportons-nous au sud du secteur résidentiel du Parc Cartier. Entre les rues du Cabotage et Beaubien3, le développement du secteur résidentiel des Plateaux bat son plein sur une superficie qui pourrait atteindre à terme un million de pieds carrés. Le magazine Vitalité économique4 rapportait que certains promoteurs vantent les terrains « avec une magnifique vue sur le fleuve », monnayant ces belvédères naturels créés par cette superbe topographie en paliers. Or, le principal obstacle à la vue est précisément… la forêt et sa canopée, ce qui explique sans doute pourquoi la moitié de ce vaste secteur est déjà déboisée. Certains résidents rêvent d’y aménager un sentier jusqu’à Cacouna longeant ces crans naturels qui forment de véritables falaises à certains endroits, mais il est probablement déjà trop tard pour y parvenir.

DES PERCÉES VISUELLES DISPARUES

La Politique de l’arbre reconnaît que la ville comporte des zones très exposées aux vents. Pourtant, les élus ont autorisé en 2019 la construction de la résidence des Bâtisseurs, rue Fraser, véritable roc de Gibraltar haut de six étages, et créant une nouvelle trouée majeure dans le corridor boisé donnant sur la baie, au sud des étangs d’épuration.

La Politique remarque aussi que Rivière-du-Loup « bénéficie de nombreuses percées visuelles exceptionnelles ». Cependant, du stationnement du marché public, rue Lafontaine, près de la centrale de la Sûreté du Québec, la vue vers le fleuve est désormais complètement obstruée vers l’est par l’expansion de la résidence Le Saint-Louis. Cette nouvelle annexe est la première et la seule construction qui jure dans le paysage visible de la passerelle de la chute, du côté du réservoir du barrage.

Plus bas, rue Lafontaine toujours, la Maison alternative des aînés a jailli cette année du terrain contaminé de l’ancienne usine textile Calko 5, rasée par le feu en 2011. Après un film au cinéma Princesse, le cinéphile qui bifurque vers l’est en direction de la rivière du Loup constate que la percée visuelle est à jamais bloquée au bout de plusieurs rues transversales.

En 2020, le Centre d’hébergement et de soins de longue durée De Chauffailles inaugurait quant à lui son édifice construit derrière le CHRGP, sur un terrain en forte pente jusque-là boisé qu’on aurait pu croire « non constructible ». Seules quelques épinettes, soigneusement ébranchées à 15 pieds, ont survécu aux pics des démolisseurs.

LE LOURD POIDS DU PASSÉ

Si elle veut vraiment préserver le peu qu’il reste du splendide capital naturel de la rivière qui lui a donné son nom, Rivière-du-Loup devra éviter de répéter en amont le type d’aménagement du secteur du boulevard Cartier, sur la berge est de la baie où la rivière se jette dans le fleuve. Là, une longue enfilade d’industries, de commerces et d’hôtels bloquent complètement la vue donnant sur son embouchure, comme s’il fallait cacher sa beauté aux résidents. Dès le pont franchi, on accède rapidement à un autre secteur commercial, paradis de l’asphalte, des lampadaires éblouissants et des voitures. À un jet de pierre de son delta, on aurait pu faire mieux pour protéger cette escale où des milliers d’oies et de bernaches en migration essaient de se reposer au milieu des rapides, toute la nuit durant, sous les faisceaux éblouissants des projecteurs des entreprises des alentours.

Bref, quel que soit l’angle d’où on envisage la protection des boisés, Rivière-du-Loup a elle aussi encore bien du pain sur la planche.

Dans le prochain numéro : Les boisés dans la mire de la MRC de Kamouraska.

1. Rivière-du-Loup, Politique de l’arbre, 2021,
https://www.riviereduloupcamrc/?id=amenagement_du_territoire_et_urbanisme

2. Andréanne Lebel, « Rivière-du-Loup dépose une demande pour agrandir son périmètre d’urbanisation », Infodimanche, 26 juillet 2021.

3. Rivière-du-Loup, « Zonage », https://portail.villerdl.ca/cartes/zonage

4. « Action Progex. Histoire à succès », Vitalité économique, mai-juin 2021, p. 22-23.

5 Carl Thériault, « L’usine de textile Calko détruite par les flammes », Le Soleil, 11 juillet 2011.

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