Si vous me lisez de temps à autre, vous aurez peut-être remarqué que l’éditorial du numéro de septembre-octobre n’était pas de moi. Il y a deux raisons. Je devais publier un texte de Nathalie Lewis et d’Abigaïl Rezelman dans le dossier spécial sur Suzanne Tremblay. Puisque ce texte avait été écrit comme un éditorial, il trouvait sa place dans mon espace habituel. Mais surtout, je devais rendre mon texte la journée où ma mère nous a quittés. Je ne veux pas m’étendre sur ce qui s’est passé. Toutefois, je souhaite raconter comment l’industrie de la mort déshumanise rapidement l’expérience des proches déjà difficile sur le plan émotif. Sans doute rien de nouveau ici pour celles et ceux qui sont passés par là. Je ne suis pas né de la dernière pluie, mais je n’avais jamais pris conscience de cette réalité : le capitalisme de la mort!
Après avoir informé le notaire du décès de notre mère, question de connaître les derniers souhaits de la défunte, on se présente dès le lendemain au salon funéraire. On doit y prendre une série de décisions. Crémation, choix de l’urne, funérailles, etc., etc. Une fois le plan établi, on nous informe de ce pas du montant de la facture. Nous avions opté, selon la volonté de mère, pour la crémation et pour une cérémonie très sobre de trois heures au salon, pas d’inhumation, pas de service religieux. Montant de l’opération : plus de 6 000 $. Quoi? Et si on ne les a pas ces 6 000 $?
À ce stade, il faut ajouter que mon père souffre depuis quelques années de troubles cognitifs s’apparentant à l’Alzheimer. C’est ma mère qui possédait un mandat d’inaptitude pour gérer ses affaires, dont ses ressources monétaires. Sur ce plan, le décès de ma mère complique royalement les choses. Ma sœur et moi n’avons pas accès à l’argent de nos parents.
En plus de la facture des obsèques, il faut bien un minimum de fleurs qui seront au salon pour trois heures uniquement. Les fleuristes nous proposent des agencements simples mais de bon goût. Total : 400 $. Quoi? La même journée, on doit choisir le petit lunch. Vu la pandémie, le nombre de personnes qui profiteront des crudités est réduit. Trois ou quatre plateaux de boustifaille nous coûtent encore quelques centaines de dollars. Quoi?
Nous avons rapporté les fleurs et les restes d’aliments à la maison… On a vu les fleurs faner et la bouffe mourir dans le frigo.
Évidemment, il faut ajouter à tout ça toutes les démarches juridiques et les frais de notaire.
Ma mère était l’aidante naturelle de mon père à la maison. Il faut donc maintenant trouver une place, une résidence adaptée aux besoins de mon père. À Matane, le choix n’est pas abondant. Pour faire court, on a trouvé un endroit parfait, mais la perfection a un prix. Plus de 2 600 $ par mois pour les soins de base. Une douche par semaine. Quoi? Pour en ajouter une, c’est plus de 100 $ par semaine. Le moindre service additionnel nous oblige à mettre la main au portefeuille.
Heureusement pour nous, le montant de la pension de mon père aidera énormément, de même que l’assurance vie de ma mère. Mais je n’ose imaginer celles et ceux qui n’ont pas accès à ces sommes.
Je n’ai pas d’assurance vie. Et avec mon salaire et mes conditions de travail, je ne peux me permettre d’économiser pour ma retraite. Je n’ai qu’un fils qui devra se débrouiller seul quand je partirai. Un stress de plus dans ma vie.
Encore un exemple où les moins nantis n’ont pas droit à la dignité. C’est ça le capitalisme de la mort!