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Crise sanitaire et état d’urgence entre les mains du capital

Par Raymond Beaudry le 2021/11
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Crise sanitaire et état d’urgence entre les mains du capital

Par Raymond Beaudry le 2021/11

Depuis belle lurette, la gestion étatique, et son approche descendante (top down) et autoritaire, continue à faire des ravages auprès des populations. Avec la crise sanitaire, elle revêt les habits d’une gestion managériale et l’Homme de l’organisation qui dirige en s’appuyant sur la logique des moyens (surtout techniques) a comme recette : faire peur, surveiller, punir et récompenser. Un cocktail propre à la notion de gouvernance qui ne laisse pas indifférents les acteurs accablés par le poids et la rigidité des appareils étatiques. S’il faut repenser le système de santé, il faudrait d’abord commencer par revoir nos institutions pour qu’elles ne soient plus à la solde du capital et de la grande entreprise. Et faire en sorte que les savoirs qui viennent d’en bas ne soient pas cadenassés dans un contexte où la production journalistique, souvent en manque de discernement, joue un simple rôle de courroie de transmission au service des idées propagées par le pouvoir. Cette réalité polarise les débats et catégorise les « pour » du côté des individus qui ne feraient qu’accepter docilement les normes imposées par décrets, que permet l’insoutenable état d’urgence, et les « contre » : des individus rébarbatifs sans raison et irresponsables. Ces positions réductrices ne permettent pas de laisser entendre de manière civilisée les raisons des uns et celles des autres, ce qui va fondamentalement à l’encontre de l’art du politique qui, il ne faut pas le perdre de vue, consiste à encourager les désaccords pour que puissent apparaître les possibles.

Avant la crise sanitaire, les acteurs collectifs de la société civile n’étaient pas une grande priorité pour l’État qui privilégiait le rapport monologique, les lieux où la parole est monopolisée par des experts. La crise n’a fait que renforcer cette position des spécialistes, plus particulièrement ceux et celles qui appartiennent au domaine biomédical, refoulant ou dénigrant d’autres connaissances scientifiques qui osent poser des questions qui dérangent le pouvoir et sa façon maladive de décider unilatéralement. Sans compter la mise à l’écart de l’expertise citoyenne devenue superflue qui peut difficilement se faire entendre à travers ses associations.

Pour briser le monopole des acteurs dominants, l’on peut se référer à Sherry Arnstein1 qui proposait, dès 1969, de distinguer trois niveaux de participation. Le premier niveau repose sur la manipulation et la thérapie (réduire les problèmes sociaux à des questions biologiques) qui s’exercent par une absence de participation citoyenne. Il vise à « éduquer » pour obtenir le soutien des gens que l’on perçoit comme étant irrationnels. Le deuxième niveau met de l’avant l’information, la consultation et l’apaisement dans un mode de participation symbolique où l’information est souvent transmise à sens unique. Ce n’est qu’au troisième niveau qu’il est possible de parler d’un pouvoir effectif. Celui-ci repose sur l’association citoyenne qui s’appuie sur des compétences scientifiques, juridiques, politiques, sur la délégation de pouvoir par la création de comités locaux, et finalement sur le contrôle direct ou la démocratie directe par la participation citoyenne au sein même des structures politiques.

On comprendra que les deux premiers niveaux de cette grille d’analyse nous permettent de situer l’intervention de l’État avant et pendant la crise sanitaire sans que l’on voie à l’horizon un changement de direction. Quant au troisième niveau, si des liens de solidarité se concrétisent entre associations citoyennes et les autorités légitimes (notamment dans la lutte pour la reconnaissance des sages-femmes, les mobilisations écologiques, la lutte pour les droits humains), la participation citoyenne au sein des instances décisionnelles demeure bien fragile.

La crise sanitaire n’a pas mis fin à la « marchandisation de la santé et à la production de l’insécurité », pour reprendre le titre de l’article de Louise Blais2. L’auteure soutient « qu’une société qui fait de la santé son institution principale est malade ». Malade d’une logique marchande qui s’est approprié la santé en médicalisant les problèmes sociaux pour en faire essentiellement des problèmes biologiques et individuels, en établissant des normes qui stigmatisent les individus, en créant des dépendances à l’égard des autorités médicales et en dévalorisant les savoirs ordinaires réduits à l’insignifiance.

Toute la question sociale est évacuée pour orienter la crise sur une affaire d’hôpitaux qui, paradoxalement, nous dit Illich, sont producteurs de maladies iatrogènes, c’est-à-dire « provoquées par un traitement médical » Quant au sentiment d’insécurité, il est, selon Blais, « tributaire de l’affaiblissement de l’État social et de la montée de l’entreprise, dont l’industrie biotechnologique et pharmaceutique  ».

Avec la crise sanitaire, l’histoire se répète en plaçant l’état d’urgence entre les mains du marché lucratif de la santé. Espérons que cette mauvaise pièce de théâtre nous éclaire sur le sens même de la notion de santé.

1. Sherry Arnstein, « A ladder of citizen participation », Journal of the American Institute of Planners, vol. 35, no 4, 1969, p. 216-224.

2. Louise Blais, « La marchandisation de la santé et la production de l’insécurité », dans Éric Gagnon, Yolande Pelchat, Roberson Édouard (dir.), Politiques d’intégration, rapports d’exclusion, PUL, 2008.

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