
En Gaspésie, la construction de nouveaux quartiers domiciliaires bat son plein. En s’établissant en région, plusieurs familles bénéficient d’une meilleure qualité de vie doublée d’un accès simple et rapide aux grands espaces sauvages. C’est une bonne chose que davantage d’individus souhaitent se rapprocher de la nature et d’un mode de vie qui les inspire. Hélas, ce mouvement de population vers les régions entraîne la construction perpétuelle de maisons préfabriquées et de nouvelles routes asphaltées. Autrement dit, le développement de nouveaux quartiers domiciliaires exige la destruction d’une flore rare et unique déjà gravement fragilisée par les activités humaines.
À première vue campagnards et pittoresques, la plupart des villages côtiers gaspésiens cachent dans leur arrière-pays plusieurs quartiers résidentiels contemporains qui semblent grandement inspirés des banlieues urbaines. De larges rues asphaltées bordées de grandes maisons modernes au style scandinave remplacent désormais la forêt paisible et chaleureuse où chantaient jadis les bruants. Accueillir et loger les nouveaux citoyens en région est pourtant une belle occasion pour élaborer un projet d’écoquartier ou d’écohameau qui ne nécessite aucun déboisement et implique panneaux solaires, routes piétonnières, serres bioclimatiques, poulaillers urbains et potagers communautaires. Malheureusement, l’accent est plutôt mis sur la qualité des imposantes rues asphaltées, sur la noirceur des toits de bardeau d’asphalte et sur le fait de posséder une cour gazonnée semblable à un terrain de golf
Jan Gehl, architecte, urbaniste et entrepreneur danois, explique : « Nous savons maintenant, à travers les recherches de ces cinquante dernières années, que si nous faisons davantage de routes, nous aurons plus de circulation. […] Alors que si nous construisons davantage de pistes cyclables et d’infrastructures pour les vélos, dix ans plus tard vous aurez infiniment plus de cyclistes. De la même façon, si vous aménagez des rues, des places, des bords de canal invitant à la vie publique, alors les gens se réapproprieront les rues. Nous avons le choix dans l’aménagement urbain : ferons-nous venir plus de voitures dans les rues ou plus de gens?1 » L’architecture et l’organisation des villes et des villages imposent inévitablement aux citoyens de tout âge un mode de vie qui influence leur manière d’appréhender le monde.
EMPREINTE
Les tiny houses (ou micro-maisons en français) pourraient permettre à plusieurs familles d’habiter en Gaspésie à moindre coût en s’initiant au minimalisme et en réduisant leur empreinte écologique, tant que la construction de ces petits chalets quatre saisons n’entraîne pas de déboisement supplémentaire. Bien que cette vie proche du camping sauvage ne soit peut-être pas une solution universelle, imaginer un village composé de ces micro-maisons écologiques reliées entre elles par des sentiers pédestres et cyclables en pleine nature fait rêver. À bien y penser, les humains ont-ils réellement besoin de plus que cela pour être heureux? Évidemment, il faudrait que les municipalités autorisent la construction d’habitations de moins de 300 pieds carrés sur leur territoire et profitent de cette occasion unique pour revoir entièrement leur organisation municipale afin d’offrir aux citoyens des services qui pourraient, par exemple, ne pas découler des taxes foncières mais plutôt d’une implication dans la communauté, soit par le troc, le bénévolat ou par moult autres possibles. Quoi qu’il en soit, plusieurs citoyens sont déjà en route sur ce chemin innovant et n’ont pas le temps d’attendre l’appui du monde municipal.
Selon le professeur de permaculture britannique Rob Hopkins, la meilleure façon de se positionner par rapport aux politiques est de leur dire : « Faites ce que vous voulez, sachez simplement qu’à l’extérieur de vos bureaux, de vos centres de conférences, dans le monde entier, des gens se mettent au travail et vivent comme il le faudrait pour stabiliser la température à moins de 2 degrés. En faisant cela, ils se font des amis, s’amusent, créent des entreprises, mangent mieux, organisent des fêtes sympas, boivent de la meilleure bière, ont des factures d’énergie plus basses et se sentent faire partie de quelque chose d’historique. Vous pourriez y apporter votre énergie, soutenir ce processus, mais faites comme vous voudrez, car cela se produit de toute façon, avec ou sans vous. C’est une révolution tranquille. Alors si le cœur vous en dit, rejoignez-nous!2 »
DE L’ESPACE POUR LA NATURE
Choisir d’habiter de manière soutenable et durable dans un logis minimaliste qui consomme peu ou pas d’énergie et prend très peu de place permet de laisser libres les espaces naturels dont les plantes indigènes, les animaux sauvages (et même les humains!) ont terriblement besoin. Quel malheur de construire tous ces quartiers résidentiels au détriment des feuillus et des résineux centenaires, des lichens et des fougères qui composaient autrefois un lieu de vie merveilleux et indispensable à toute une diversité d’animaux sauvages uniques et sensibles!
D’un côté, la forêt primaire gaspésienne est décimée par l’exploitation forestière, de l’autre, elle est défrichée pour faire place à des quartiers domiciliaires. Heureusement, l’arrivée de nouvelles familles en région n’a pas que des aspects négatifs, car plusieurs apportent avec elles leurs bonnes habitudes contagieuses : se déplacer à vélo, consommer local, contribuer à la création des conditions permettant une vie saine et durable, etc. Tout compte fait, il est urgent de trouver une meilleure façon d’accueillir et de loger tout ce beau monde sans détruire ou envahir brutalement les quelques dernières forêts de la Gaspésie.
1. Cyril Dion, Demain : un nouveau monde en marche, Babel, 2020, p. 153.
2. Cyril Dion, Demain : un nouveau monde en marche, Babel, 2020, p. 389.