
Depuis l’avènement de la pandémie du SARS-CoV-2, le nombre des travailleurs précaires recourant à l’aide alimentaire augmente, et les organismes peinent à combler la demande. Les commerces et les restaurants connaissent d’énormes difficultés financières. Leurs factures s’allongent, alors que les revenus stagnent.
Que pouvons-nous faire afin d’atténuer les impacts sociaux et économiques de la crise actuelle? C’est le questionnement crucial auquel Estelle Richard répond dans son livre, Pour en finir avec le gaspillage alimentaire. La question est plus qu’importante : en 2050, nous serons plus de neuf milliards sur Terre, la moitié n’aura pas accès à l’eau potable, et le tiers souffrira de malnutrition.
En première partie, l’auteure analyse l’origine et les causes du gaspillage alimentaire, qui sont d’ordres structurel et relationnel. La seconde moitié explore les solutions mises en œuvre dans diverses nations. De profonds changements sont nécessaires, d’abord à l’échelle individuelle, puis familiale, industrielle, et enfin, gouvernementale.
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Près de quarante pourcent de la nourriture est jetée annuellement. Cela représente environ mille dollars par citoyen. Visualisez un potager couvrant le Canada et l’Europe, puis jetez-en la production annuelle. Estelle Richard détaille les ressources ainsi volatilisées et les impacts écologiques du gaspillage. Au-delà de l’encre versée par l’écrivaine s’érigent une multitude d’expertises appuyant ses propos.
Parfois empreinte de nostalgie pour l’époque du terroir, Estelle Richard dresse le portrait historique et relationnel du « mangeur ». À une époque, les tables étaient entourées d’enfants, et l’heure du repas devenait un événement commensal. Ce temps de partage se raréfie.
Le libre-échange a fait disparaître une part importante des fermes familiales, donc de notre autonomie alimentaire, au profit des monocultures de grandes surfaces. L’urbanisation et la mondialisation nous ont éloignés d’une relation saine à l’alimentation. Nos denrées parcourent des milliers de kilomètres avant d’atterrir dans nos assiettes. La révolution industrielle a considérablement augmenté la durée de vie des aliments. Les produits transformés ont envahi nos cuisines. Le rythme de vie des Québécois s’est accéléré, et la désynchronisation des membres de la famille nous a éloignés des générations antérieures, qui détiennent l’héritage de l’agriculture vivrière. Les érudits de la cuisine ont perdu leur rôle.
La standardisation des aliments a fait disparaître les trois quarts des variétés afin de maintenir un rendement accru et un « prix plancher ». Les gens, peu soucieux des impacts de leurs achats, surconsomment. Le marketing et la publicité utilisent la neuroscience et la psychosociologie, menant au mensonge des produits toujours savoureux, parfaits, frais, éthiques, identitaires, d’apparence désirable. L’obésité américaine trouve ses racines dans la tromperie du consommateur. Dans les médias, on affiche des personnes anorexiques mangeant de la malbouffe, des repas vantant les vertus de la santé tout en trichant sur le nombre de calories, des régimes extrêmes engendrant des problèmes de santé au lieu de faire maigrir durablement. La croissance infinie est une illusion, dont les retombées se font sentir dans les poubelles.
Autrefois, la cuisine était l’expertise des femmes au foyer. Elles composaient avec le concept de la péremption et de l’utilité. Depuis l’émancipation féministe, ce savoir-faire est abandonné, puisque les hommes n’auraient pas pourvu à ce poste crucial dans la nouvelle structure familiale.
Le suremballage est responsable du tiers des déchets domestiques, dont les neuf dixièmes ne sont pas recyclés. Le continent de plastique flottant dans les océans s’élargit au rythme de huit millions de tonnes par année. L’auteure aborde la question du traitement des déchets organiques et met en doute le modèle agroalimentaire actuel. Les ordures ne disparaissent pas. Le compostage ne doit pas servir de prétexte au gaspillage. En effet, il faut réutiliser, recycler, revaloriser, avant de disposer des restes par élimination.
CONSOMMER MOINS ET MANGER SAINEMENT
Chacun doit s’examiner et changer ses normes. S’éduquer, explorer, sortir de sa zone de confort accroît l’efficacité de la gestion culinaire. Les petits gestes valorisants motiveront à en faire de plus grands afin d’atteindre le zéro déchet et, au final, gagner temps et argent. Achetez moins, mangez mieux! L’ouvrage regorge d’astuces pour y parvenir. Je crois qu’il faut user de discernement, se fier sur nos sens et la science pour freiner le gaspillage.
L’industrie répond partiellement aux préoccupations des consommateurs en adoptant des pratiques écoresponsables. Lorsque le gouvernement emboîtera le pas, de nouvelles normes sociales et industrielles seront implantées. En attendant, nous comptons sur les organismes sans but lucratif dédiés à la cause alimentaire pour sensibiliser et instruire.
L’ouvrage, d’allure modeste, inspire le respect. La multitude des références reflète le sérieux avec lequel il a été rédigé. Estelle Richard dépose une pierre philosophale d’éveil, de sensibilisation, d’incitation au changement des mœurs. Même si elle est chargée, sa lecture est l’affaire de quelques jours. À mon avis, ce livre devrait figurer dans le parcours scolaire québecois.
Passant outre les apparentes contradictions, la décence intellectuelle m’incite à concéder qu’aucune situation n’est universellement ou unilatéralement applicable. J’aurais donc souhaité retrouver dans cette lecture davantage de références et de statistiques émanant de notre Belle Province. La plupart des références proviennent des Français, des Américains et des Britanniques, dont les mœurs et coutumes sont différentes. Il faut donc pondérer les conclusions hâtives.
Somme toute, je recommande fortement la lecture attentive de ce bijou de connaissances du domaine de l’alimentation. Il regorge de solutions simples et efficaces pour réduire, voire éliminer le gaspillage. Un incontournable, dans ce monde ayant tant soif de changement.