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AGIR SUR LES VARIABLES STRUCTURELLES DU DÉVELOPPEMENT RURAL

Par François L'Italien le 2021/05
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AGIR SUR LES VARIABLES STRUCTURELLES DU DÉVELOPPEMENT RURAL

Par François L'Italien le 2021/05

Faisant le bilan des politiques de développement régional du siècle dernier, le géographe Clermont Dugas de l’UQAR affirmait en 2003 : « Ce n’est pas en laissant agir les forces du marché et en demandant aux résidents ruraux d’être imaginatifs et dynamiques que l’on va corriger la situation des régions à problèmes. Il faut s’attaquer aux facteurs responsables de leur marginalisation. Ici et ailleurs, les faits ont suffisamment démontré qu’il y a des causes structurelles aux problèmes ruraux. » Le propos déconcerte à plusieurs égards. Non seulement est-il toujours d’actualité sur le fond, mais il fait ressortir l’effet de résignation collective générée par trois décennies de néolibéralisme. Quelle résignation? Celle qui concerne notre capacité à agir sur les facteurs structurels du déclin démographique et de dévitalisation économique de plusieurs communautés. En effet, au-delà des discours, de quels instruments et politiques le Québec dispose-t-il aujourd’hui pour être à la hauteur des « problèmes ruraux »? Les approches actuelles du développement territorial, qui « demandent aux résidents ruraux d’être imaginatifs et dynamiques » sans s’interroger sur les aspects structurels de leur condition, constituent-elles un point d’appui solide? Poser les questions, c’est y répondre.

Dressant un état de la situation se rapprochant des constats faits par Dugas, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) pense qu’il faut renouer avec une approche visant les facteurs structurels du développement rural au Québec. C’est pour cette raison que l’IREC a proposé en 2017 de développer un modèle d’intervention pour soutenir l’agriculture et la foresterie privée. Ces secteurs sont des vecteurs de développement des milieux ruraux dans les régions éloignées des grands centres, comme cela a été historiquement le cas dans le Bas-Saint-Laurent. C’est là qu’une réflexion menée avec le milieu a conduit à la création d’un nouvel instrument destiné à soutenir des projets structurants pour l’agriculture, la foresterie ainsi que pour l’habitation du territoire. Ce nouvel instrument, c’est le groupe d’intervention AGROFOR.

Loin d’être une nouvelle structure qui s’ajouterait à celles qui existent déjà, AGROFOR est une équipe polyvalente qui mobilise et coordonne des ressources du milieu, mais aussi de partout au Québec, en vue d’accélérer la réalisation des projets qu’elle accompagne. S’il existe des organismes régionaux « généralistes » favorisant la concertation ou le soutien aux projets agricoles et forestiers, aucun instrument n’intervenait spécifiquement sur les filières et la revitalisation des milieux. Par filière, il faut entendre les étapes parcourues pour valoriser un bien, allant de sa production à sa mise en marché, en passant par sa transformation et son transport. L’expérience a montré que beaucoup de projets en agriculture et foresterie privée, plus particulièrement le démarrage d’entreprises en production, ne parvenaient pas à être viables en raison des difficultés d’insertion dans leurs filières respectives. Par exemple, si la petite production maraîchère a la cote par les temps qui courent, il est essentiel de concevoir et de planifier les mécanismes permettant à ce type de production d’être pérenne, en particulier dans les milieux où la dévitalisation pèse déjà lourdement. Nous pensons évidemment à la vente des denrées, mais aussi au développement de produits transformés ainsi qu’au soutien technique et à l’accès aux infrastructures de conditionnement. AGROFOR vise précisément à soutenir le développement des filières de produits dans le Bas-Saint-Laurent, ce qui est la condition nécessaire pour que les projets d’établissement de la relève puissent durer.

De plus, AGROFOR est d’avis qu’en 2021, les jeunes qui souhaitent s’installer en milieu rural seront d’abord portés à s’insérer dans un milieu de vie et donneront priorité aux projets où ils ne seront pas laissés à eux-mêmes. Pour répondre à cela, AGROFOR a mis sur pied, en collaboration avec la MRC de la Matanie, un projet d’établissement groupé en production ovine. L’objectif, à terme, est d’établir et de soutenir un groupe de producteurs spécialisés dans cette production, en les insérant dans une filière de produits à valeur ajoutée. La mutualisation des équipements et des compétences, mais aussi l’animation du milieu sont conçues comme des facteurs susceptibles de faciliter le développement des entreprises. Il s’agit ici de penser la rentabilité des fermes, mais aussi la dynamisation du milieu de vie comme des aspects interreliés, qui doivent faire l’objet d’une démarche intégrée et structurée. L’expérience, qui est en cours, sera pleine d’enseignements pour la suite.

On aura compris qu’AGROFOR vise à intervenir sur le développement rural à un niveau intermédiaire, entre l’action locale et l’intervention gouvernementale. L’esprit et le modèle que cherche à concrétiser cette initiative s’inspirent, sans prétendre l’épuiser, d’une tradition d’action collective présente dans le Bas-Saint-Laurent : celle du syndicalisme agricole et forestier porté pendant plusieurs décennies par les mouvements sociaux ruraux. Les Léonard Otis, Adéodat St-Pierre et Suzanne Tremblay ont été quelques-unes des figures de proue de ce « courant chaud » du syndicalisme rural, qui plaidaient pour la création et l’usage d’instruments de développement régionalisés. Si les conditions socioéconomiques d’aujourd’hui sont distinctes de celles de la seconde moitié du 20e siècle, le sentiment d’urgence, l’importance accordée aux milieux dévitalisés et l’ambition d’agir sur les variables structurelles du développement restent les mêmes.

Pour aller plus loin.

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