
Sillonnant les monts Chic-Chocs sur 115 km avant de se déverser dans un barachois, la rivière Wagamet (« eau claire » en micmac), devenue la Bonaventure, est l’une des plus belles rivières de pêche du Québec et de canotage en Amérique du Nord. Le débit constant et les rapides de la rivière cristalline en font un lieu touristique privilégié pour des milliers d’amateurs chaque année, que ce soit pour la pêche, le kayak, le canot ou tout simplement pour un bain de nature. Durant la période estivale, il est relativement facile d’accéder à la portion aval de la rivière en passant par le village de Bonaventure, les chemins sont bien entretenus et les indications, claires.
La rivière Bonaventure prend sa source dans des ruisseaux de montagne à 662 m d’altitude dans la réserve faunique des Chic-Chocs. Située à quelques kilomètres au nord du lac Bonaventure et d’un autre petit lac du même nom, la source de la rivière est difficilement accessible tant par voie d’eau que par voie terrestre : le cours d’eau en amont est tumultueux, et les routes qui y mènent ne sont pas entretenues. Le voyage du cours d’eau limpide commence au cœur des immenses désastres de l’industrie forestière, un désert aride que la rivière parcourt sur des dizaines de kilomètres dans son sillon délimité par quelques conifères. Ainsi, c’est en zone de coupes forestières dans les environs de Murdochville que se trouve la source de la rivière de cristal.
Au cours de son périple précaire vers l’océan Atlantique, l’eau claire de la rivière traverse les vestiges des forêts primaires gaspésiennes. Ces étendues montagneuses désertifiées sont un rappel poignant de la guerre incessante que les humains mènent contre le monde naturel. Au rythme des présentes coupes forestières, l’avenir de la Gaspésie se résume à un immense désert de sable parsemé d’une végétation frêle. En effet, la flore et la faune de la péninsule gaspésienne sont dans un état critique. La poursuite des activités d’exploitation forestière en plein cœur du massif des Chic-Chocs détruit les conditions permettant le foisonnement de la vie en région.
SI LES SAUMONS POUVAIENT PARLER
Si les saumons de l’Atlantique et les ombles de fontaine qui parcourent les eaux claires de la rivière Bonaventure pouvaient parler, ils raconteraient sûrement que la Gaspésie ne regorge pas de vie, mais qu’elle est possédée par des monstres de fer désespérément issus du génie humain. Bien sûr, la faune aquatique de la rivière ne manquerait pas d’ajouter que les particules de crème solaire chimique dont se couvrent les humains sont extrêmement nocives pour l’environnement et les êtres vivants. Enfin, seuls les poissons qui ont survécu aux hameçons des pêcheurs pourraient faire pareil récit.
Depuis des mois, la ZEC tente de limiter l’accès à la rivière aux usagers récréatifs, et même de restreindre les activités des entreprises récréotouristiques Cime Aventures et Le Malin1. Pourtant, dédier la rivière Bonaventure à la pêche sportive n’est certainement pas une solution. La pêche sportive avec ou sans prélèvements a également des impacts négatifs sur la qualité de vie de la faune aquatique. Alors, comment protéger le cours d’eau lui-même, indépendamment de son utilité pour les humains? Une solution pourrait être que la rivière Bonaventure soit reconnue par le parlement comme « être vivant unique », sujet de droits intrinsèques, au même titre que le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande. Au fond, il s’agit de reconnaître à la nature et à ses composantes leurs droits intangibles, au titre de leur valeur intrinsèque, afin de permettre aux écosystèmes – dont dépend l’existence de tous les vivants – de bénéficier d’une protection juridique robuste2.
En passant par la sensibilisation et par un écotourisme bien géré, il est toujours possible de permettre à la population de profiter de la nature en réduisant l’impact sur l’écosystème. La seule façon d’enseigner le respect et la protection de la faune et de la flore est de permettre à tout un chacun d’accéder à la nature de manière durable, par exemple en priorisant les déplacements non motorisés sur les sites récréotouristiques, en réduisant l’achalandage dans les milieux fragiles ou encore en utilisant de la crème solaire naturelle et biologique lors des baignades. Interdire ou limiter l’accès de la population aux espaces naturels, c’est prendre le risque d’exposer toute une génération aux troubles associés au déficit de nature, problème de plus en plus documenté3. Toutefois, plusieurs écosystèmes fragiles et uniques doivent être préservés de l’influence humaine afin de rester intacts, c’est-à-dire afin de conserver un haut degré de caractère naturel.
En définitive, il ne faut pas oublier que la qualité de l’eau est essentielle à la bonne marche des processus vitaux de la Terre. Une rivière d’eau douce limpide comme celle de Bonaventure est rare, et l’environnement qu’elle sillonne doit être en parfait équilibre. L’humanité a désormais atteint ce point critique où protéger la paisible rivière, la simple montagne et l’arbre silencieux a une influence fondamentale sur l’équilibre vital du monde.
1. Patrick Giguère, « Protéger la rivière Bonaventure, mais à quel prix? », TVA Nouvelles, 1er avril 2021, https://cimtchau.ca/nouvelles/proteger-la-riviere-bonaventure-mais-a-quel-prix/
2. Nicolas Blain, Droits de la nature, droitsdelanature.com
3. Richard Louv, Last Child in the Woods. Saving our Children from Nature-Deficit-Disorder, Algonquin Books, 2008.