
Les éoliennes sont devenues une composante du paysage du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Le Mouton Noir propose une série de quatre articles sur le développement éolien dans l’Est-du-Québec. Deuxième partie : bilan de la pertinence de l’énergie éolienne, sur les plans économiques et environnementaux.
Depuis le début du 21e siècle, l’Est-du-Québec est devenu spécialiste de l’énergie éolienne et compte aujourd’hui près de 25 parcs éoliens. Les élus locaux se flattent des retombées, mais des critiques d’ordres économique et écologique accompagnent ce développement.
Une électricité plus chère que la moyenne
Le parc éolien le plus récent de l’Est-du-Québec est le parc Nicolas-Riou, inauguré en juin 2018. Il produit de l’électricité à 6,3 cents/kWh, un prix compétitif pour le secteur de l’éolien au Québec. Le futur parc Apuiat sur la Côte-Nord atteindra les 6 ¢/kWh.
Ces coûts témoignent des progrès faits au fil des ans : « Le prix moyen du premier appel d’offres en 2003 était d’environ 7,5 ¢/kWh. Selon les autres appels d’offres, ce prix a varié de 7 à 15 ¢/kWh », rappelle le porte-parole d’Hydro-Québec Cendrix Bouchard.
Cela représente tout de même plus du double du prix de l’électricité patrimoniale d’Hydro-Québec, qui correspond à la production des grandes centrales hydroélectriques (complexe La Grande, rivière Manicouagan, rivière des Outaouais et fleuve Saint-Laurent). Celui-ci était fixé à 2,96 ¢/kWh en avril 2019.
Surtout, les États américaines qui achètent l’électricité québécoise ont payé en moyenne 4,3 ¢/kWh en 2019! Autant dire que la société d’État perd de l’argent avec les éoliennes du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. En 2018, la vérificatrice générale chiffrait à 2,5 milliards $ le surcoût lié aux sources d’électricité autre que les grands barrages (éolien, biomasse, petites centrales hydroélectriques) pour la période 2009-2016. Cela se répercute sur le portefeuille des Québécois, puisque cet argent a été récupéré en haussant les tarifs d’électricité.
Des élus de l’Est-du-Québec (dont les maires de Rimouski, Matane et Gaspé ainsi que la mairesse de Rivière-du-Loup) lui ont répliqué promptement : il faut voir plus loin que les prix et considérer tous les investissements réalisés en région grâce aux parcs éoliens, expliquent-ils dans une lettre ouverte. Après tout, « le gouvernement offre subventions ou crédits d’impôts à diverses industries situées la plupart du temps dans les grands centres urbains » et « on les justifie, à juste titre, par la création d’emplois et de richesses qui rentabilisent pour le gouvernement ces choix fiscaux ».
Professeur de physique à l’Université de Montréal et auteur de Gagner la guerre du climat (Boréal), Normand Mousseau n’aime pas « qu’on demande à l’entièreté des Québécois comme consommateurs d’électricité de subventionner le développement régional ». Il pointe un manque de transparence : cela revient à cacher des subventions dans les tarifs d’électricité plutôt que de les annoncer de façon claire et les faire payer par les contribuables. La différence est ténue mais réelle, dans la mesure où tout le monde paie son électricité, mais les moins nantis sont dispensés d’impôt.
Les éoliennes sont réparties sur le territoire de manière à maximiser leurs retombées, ce qui amène à « choisir des endroits qui ne sont pas nécessairement optimaux pour les vents », ajoute M. Mousseau. Libérées de ces contraintes, les éoliennes d’Alberta parviennent à produire de l’électricité à 3,5 ¢/kWh…
Environnement : il faut bien faire tourner les éoliennes…
L’éolien a un rôle important à jouer dans la décarbonation de l’économie, puisque selon le GIEC, il s’agit de la source d’énergie qui émet le moins de gaz à effet de serre.
Mais du côté des écologistes, on note que ces moulins à vent modernes participent de l’extractivisme. En effet, on y trouve de l’aluminium, du chrome, du cuivre, du fer, du plomb, du zinc, du manganèse, du nickel, du molybdène et du néodyme. Il a bien fallu aller chercher ces minerais quelque part, ce qui a causé la pollution de sols et nappes phréatiques, la consommation de quantités phénoménales de pétrole, des expropriations de familles…
Puisque les humains consomment de l’énergie de toute manière, il faut comparer l’impact des éoliennes à celui d’autres sources d’énergie. C’est ici que l’introduction du taux de retour énergétique (TRE) est utile : il s’agit du rapport entre la quantité d’énergie qu’on obtient d’un système et la quantité d’énergie qu’il a fallu dépenser pour le faire fonctionner.
Pour les grandes éoliennes, ce TRE varie de 35 à 70 selon plusieurs facteurs, incluant la vitesse moyenne du vent. Cela signifie qu’une éolienne produit 35 à 70 fois plus d’énergie qu’il n’en a fallu pour extraire les ressources nécessaires à sa construction, la fabriquer et l’installer.
L’hydroélectricité est nettement au-dessus, avec un TRE allant de 80 à 112. En revanche, pour le solaire, c’est de 5 à 34 seulement. Et le TRE du pétrole est en chute libre depuis qu’on l’extrait de sources non conventionnelles : il se situe aujourd’hui entre 3 et 30 pour les 30 premières compagnies pétrolières mondiales…
Ceci dit, la question de l’épuisement des ressources naturelles reste bien réelle et on ne pourra construire une infinité de parcs éoliens dans un monde fini. Réduire notre consommation d’énergie est donc nécessaire, et la beauté là-dedans c’est qu’« on peut faire beaucoup d’efficacité énergétique à moins cher que 6 cents le k Wh », assure Normand Mousseau.
Campagnes pour sensibiliser à l’économie d’énergie, amélioration de l’efficacité énergétique des logements grâce à une meilleure isolation thermique et au recours à la géothermie… De nombreuses choses pourraient être faites au Québec mais sont pour l’instant quasi-absentes du débat public. Plutôt que la construction de nouveaux parcs éoliens, c’est sans doute là que se trouve le grand chantier du futur.