
La poursuite entamée par l’UPA contre le Maraîcher d’en haut, une ferme maraîchère d’autosuffisance et partiellement commerciale située au Bic, pour récupérer les cotisations annuelles non payées depuis trois ans est une situation qu’on voit et revoit en agriculture québécoise. Malheureusement, il s’agit d’une procédure fréquente et ne se réduit pas qu’à un cas isolé.
Dans les faits, le monopole syndical de l’UPA se disculpe de toute faute derrière ses droits légaux, imbriqués dans la loi. Il s’en sert pour justifier sa présence omnipotente et sa légitimé. Je souhaite cependant soulever que cette « légitimité » est fortement contestable (et contestée!), parce qu’elle appelle à des articles de loi anti-démocratiques, qui auront tôt fait de soulever l’indignation. Ce présent article, rédigé par un membre de la Ferme de la Dérive, est aussi un appel à la solidarité paysanne et vise à soutenir le maraîcher Claude Fortin dans ses démarches entamées contre le monopole syndical.
L’obligation de cotiser à l’UPA
La loi sur les producteurs (P-28), vieille d’un demi-siècle, n’autorise effectivement l’accréditation que d’un seul syndicat agricole à la fois, générant ainsi les circonstances du monopole syndical propre au Québec : une situation unique au monde! Autrement dit, une seule organisation syndicale est autorisée à appliquer les pouvoirs afférents que lui concède la loi, proscrivant de jure la pluralité syndicale. De plus, cette dernière exige de tous les producteur.trices – défini.es comme celles et ceux ayant des revenus agricoles supérieurs à 5 000$ – d’acquitter leurs cotisations au « syndicat accrédité », en l’occurrence l’UPA, qui est de surcroît la seule à avoir disposé du privilège depuis l’existence de la loi.
Les « obligations » de cotiser ne reposent toutefois pas que sur des articles de loi. D’autres formes de pression existent et contraignent les producteur.trices à adhérer au monopole syndical, les empêchant parfois même de considérer la désobéissance civile. Elles sont néanmoins beaucoup plus insidieuses. Comme il sera expliqué, il n’est pas si simple de refuser d’adhérer au monopole syndical.
Taire la dissidence par le chantage
Les producteur.trices disposent d’un privilège, celui de recevoir un remboursement de leurs taxes foncières. Néanmoins, ce remboursement ne peut être perçu qu’à condition que la cotisation au « syndicat accrédité » soit acquittée. Concrètement, cela signifie que pour bénéficier d’un avantage public (dont les frais sont assumés par la société entière!), il faille verser un montant à une organisation privée, à savoir l’UPA. Cette situation, qui va sans rappeler des formes évidentes de collusion, est inscrite dans la loi! Elle est ainsi revêtue d’un caractère fondamentalement anti-démocratique.
« La personne qui demande un paiement doit avoir acquitté la cotisation annuelle à l’association accréditée (Union des producteurs agricoles) exigible en vertu de la section VIII de la Loi sur les producteurs agricoles (RLRQ, chapitre P-28). » Source : Conditions d’admissibilité au crédit de la taxe foncière agricole [i]
De plus, pour accéder à certains programmes de financement du MAPAQ, il faut généralement être enregistré comme entreprise agricole et donc recevoir un numéro d’identification ministériel (NIM). Il en existe deux types : le NIM bénéficiaire et le NIM permanent.
Le premier ouvre certaines portes, notamment au financement du programme « Territoires : relèves, entrepreneuriat et entreprises de petites tailles », et n’exige pas que la cotisation à l’UPA soit acquittée. En contrepartie, plusieurs programmes de financement ne sont pas accessibles, puisqu’il s’agit en pratique d’un état temporaire, voire transitoire.
Le second, quant à lui, est un peu plus contraignant : il demande notamment que l’entreprise agricole réalise des revenus de plus de 5 000$ et, conséquemment, demande que la cotisation à l’UPA soit acquittée. Il ouvre néanmoins la porte à plusieurs programmes hautement intéressants, comme le « Prime-Vert », qui vise à faciliter la transition écologique. Cependant, pour pouvoir appliquer aux différents programmes, il faut acquitter sa cotisation à l’UPA!
Essentiellement, les producteur.trices sont légalement tenu.es de payer leurs cotisations, sans quoi ils s’exposent à des risques de poursuite judiciaire. Comme en témoigne le cas du maraîcher bicois Claude Fortin, l’UPA n’hésite pas à utiliser ses armes pour percevoir les dollars que lui concède la loi. Ensuite, les producteur.trices, s’ils veulent accéder aux avantages agricoles offerts, doivent aussi payer leurs cotisations. Autrement dit, la désobéissance civile est fortement découragée, parce qu’elle représente une menace directe à la survie des petites entreprises agricoles. Effectivement, comment la petite agriculture, déjà précarisée, peut-elle se permettre de refuser l’adhésion au syndicat unique sachant qu’elle se ferme incidemment des portes de financement? Les programmes de financement sont effectivement vitaux pour les entreprises de petite taille, celles œuvrant à des échelles humaines et dans des perspectives de souverainetés alimentaires.
Une résistance contrainte
Nous entendons fréquemment des paysan.nes remettre en question l’UPA qui, selon des témoignages très partagés, ne représente pas du tout les intérêts de l’agriculture à échelle humaine, orientée vers la distribution locale et communautaire, et qui considère l’activité fermière au-delà de ses réalités marchandes. Il existe un mouvement fort de résistance et de contestation, mais celui-ci est fortement réprimé dès lors qu’il est question de financements et d’amélioration des pratiques. Nous les entendons fréquemment : « l’UPA ne me représente pas, mais je n’ai pas le choix de cotiser si je veux accéder au financement qui me permettra l’acquisition d’équipements et donc la survie de mon projet… ». Et au tournant, si les refus idéologiques et éthiques à adhérer au monopole syndical sont suffisants pour résister au versement de la cotisation, les avocats d’un des lobbys québécois les plus puissants, à savoir l’UPA, attendront la paysannerie au tribunal pour recevoir leur dû.
La fin du monopole syndical, exigée par l’Union paysanne depuis 2001 afin de permettre une représentativité réelle et de créer un climat démocratique sain, facilitant les débats et l’organisation de la paysannerie, doit demeurer à l’ordre du jour. Visiblement, une organisation qui s’en tient aux tribunaux pour arracher de force l’adhésion de ses membres en est une dont la légitimité est contestable et qui, nécessairement, a plus en tête que la défense de la paysannerie!