
Lorsqu’une nouvelle année débute, beaucoup aiment dresser un portrait de celle qui a pris fin pour en tirer des leçons et repartir du bon pied.
En tentant de dresser le bilan des dernières années, lequel s’avère très occidentalo-centré en raison de mes biais, j’en suis venue à me poser la question suivante : fondamentalement, les sociétés dites modernes permettent-elles que nous tirions quelque leçon du passé pour rebondir autrement?
BILANS CATASTROPHIQUES ET INACTION GÉNÉRALISÉE
2020, c’était l’année qui suivait une douche de rapports venant objectiver et dévoiler publiquement les ravages écologiques et sociaux causés par le fonctionnement des sociétés dominantes : le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), celui de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), les rapports spéciaux du GIEC sur l’état des terres (surexploitation des ressources naturelles, appauvrissement des sols et stress croissant sur la sécurité alimentaire mondiale) et sur l’état des océans et de la cryosphère (montée des eaux, fonte accélérée des glaces, destruction du vivant). Les portraits dressés étaient tous aussi catastrophiques les uns que les autres.
Qu’a fait l’ONU en réponse à ce bilan de destruction massive? Elle a demandé aux responsables de faire des efforts. Et que fait la population en marchant, en signant des pétitions, en déclarant l’urgence climatique, en accrochant des bannières à des ponts et en signant le défunt Pacte pour la transition énergétique? Eh bien tout comme l’ONU, la population s’en remet à demander à ceux qui n’ont d’yeux que pour le PIB de faire des efforts.
Malheureusement, cette posture revendicatrice dure depuis près de 50 ans, ponctuée par la publication du rapport du Club de Rome intitulé The Limits to Growth1 qui, grossièrement résumé, révélait qu’en continuant de fonctionner comme elles le font, les sociétés industrielles avancées détruiraient rapidement les conditions d’habitabilité sur Terre. Depuis ces constats datant de 1972, alors qu’il y avait une certaine marge de manœuvre, l’étau se resserre.
Bien que cette approche s’avère inefficace, l’année 2020 s’annonçait riche en revendications populaires (la question du climat occultant malheureusement les autres saccages écologiques tout aussi mortifères). Cette braise a cependant rapidement été étouffée par les mesures sanitaires, puis éteinte par la couverture occultante des grands médias occupés à relayer, en quasi continu, les mises à jour gouvernementales sur la pandémie de COVID-19.
LA PANDÉMIE COMME SYMPTÔME DE LA CROISSANCE INFINIE
La COVID-19 a plongé les États dans une récession de laquelle il faudra sortir coûte que coûte. L’assouplissement des mesures environnementales fait partie du prix à payer pour sauver l’économie. Les projets d’oléoducs de l’Ouest canadien ont repris leur vitesse de croisière malgré la contestation des communautés autochtones, le Plan Nord est ressuscité et le projet de loi 66 a été adopté à l’Assemblée nationale. C’est pourtant le culte du PIB qui est à l’origine de cette pandémie, laquelle n’était pas une réelle surprise pour les experts en santé publique. Avec la destruction massive des écosystèmes forçant le contact entre les animaux sauvages et les animaux domestiques ou l’humain, et notre hyperconnectivité (voyages de masse, dépendance à la mondialistion pour s’approvisionner en tout), il ne s’agissait plus de savoir si une nouvelle zoonose (virus transmis de l’animal à l’humain) risquait de se propager à l’échelle du globe, mais quand cela allait se produire2.
Pour en revenir à ma question de départ sur les leçons à tirer du passé, force est d’admettre que le modèle technocapitaliste des sociétés dominantes n’est pas conçu pour être remis en question. Nous devons donc rompre avec lui ou il continuera de nous mener de plus en plus vite à notre perte, les plus vulnérabilisés en tête de peloton.
BUSINESS AS USUAL, VERSION VERTE
Les gouvernements et de grandes ONG, se présentant comme environnementalistes, tentent de rassurer la population en faisant miroiter que nous serons sauvé·e·s par le développement durable (et tous ses dérivés comme la croissance verte, la relance verte et la relance juste). Cette idée repose sur l’hypothèse du découplage.
Promu depuis plus de 40 ans, le découplage3 promet que l’on pourra poursuivre la course à la croissance économique infinie sans détruire davantage la biosphère. Comment? En se tournant massivement vers des technologies dites propres (comme les voitures électriques, l’éolien ou le solaire qui font bondir l’extraction minière et les ravages qui viennent avec) ou en réorientant l’essentiel des activités économiques de production vers des activités de service (lesquelles reposent aujourd’hui sur de lourdes infrastructures numériques énergivores et gourmandes en ressources minières).
Or, de plus en plus d’études scientifiques démontrent qu’aucun indice ne laisse croire qu’un découplage « absolu, global et permanent » n’aura lieu un jour de manière « suffisamment significative et rapide » pour que la croissance économique soit compatible avec l’écologie4.
Persister à promouvoir cette chimère équivaut à apposer une étiquette verte à l’insoutenable statu quo qui nous éloigne de la trajectoire réaliste à suivre : la sobriété5.
1. Donella H. Meadows, Dennis L. Meadows, Jorgen Randers et William W. Behrens III, The Limits to Growth. A report for the Club of Rome’s project on the predicament of mankind, New York : Universe Books, 1972, 205 p.
2. Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020, www.monde-diplomatique.fr/2020/03/SHAH/61547
3. Bruno Massé, « Le développement durable contre l’environnement », dans La lutte pour le territoire québécois. Entre extractivisme et écocitoyenneté, XYZ, 2020, p. 153-225.
4. T. Parrique, J. Barth, F. Briens, C. Kerschner, A. Kraus-Polk, A. Kuokkanen et J. H. Spangenberg, Decoupling Debunked : Evidence and arguments against green growth as a sole strategy for sustainability, 2019, eeb.org/library/decoupling-debunked/
5. La sobriété fera l’objet de la deuxième partie de cet article à paraître dans le prochain numéro : le mouvement de la décroissance sera présenté comme piste de solution pour rompre avec le modèle actuel et aspirer à une croissance de sens.