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UN PROCESSUS ÉVOLUTIF

Par Jeanne-Marie Rugira le 2020/11
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UN PROCESSUS ÉVOLUTIF

Par Jeanne-Marie Rugira le 2020/11

Au moment de célébrer collectivement les 25 ans d’existence du journal citoyen Le Mouton Noir, je suis invitée à témoigner de l’évolution de la situation migratoire dans le Bas-Saint-Laurent. En 1993, alors que j’arrivais à Rimouski, le Québec commençait à se préoccuper de la question de la régionalisation de l’immigration. Cependant, comme le rappelle Vatz Laaroussi1, durant plusieurs années, les différentes orientations politiques et les efforts d’investissement dans le secteur de la régionalisation de l’immigration n’ont pas réussi à créer un consensus social ni à montrer sans ambiguïté leur efficacité.

Ainsi, pendant une bonne quinzaine d’années, la présence de personnes immigrantes et réfugiées sur notre territoire était très limitée, et lorsqu’il y en avait, très rares sont celles qui parvenaient à rester. Pourtant, il y avait de la part des acteurs un réel souhait d’augmenter le nombre d’immigrants. Il a alors fallu adopter un certain nombre de stratégies pour favoriser l’attraction et la rétention des personnes immigrantes et réfugiées en région. La première stratégie gagnante fut l’attraction d’étudiants étrangers dans les universités et les cégeps régionaux. On a alors vu un accroissement considérable d’étudiants de l’extérieur sur le territoire bas-laurentien. À titre d’exemple, soulignons que si on était une soixantaine d’étudiants étrangers toutes origines confondues à mon arrivée à l’UQAR en 1993, l’UQAR en compte actuellement environ 500!

L’apport de ces étudiants sur le plan de la vitalité de nos campus et de nos régions est remarquable. Malheureusement, si on arrive assez bien à attirer un grand nombre d’étudiants étrangers dans la région, on est encore loin d’avoir réussi à s’arrimer de manière efficace avec les différents acteurs dans nos milieux pour créer des conditions favorables à leur établissement durable. Ainsi, nous perdons régulièrement des talents francophones attachés à notre région, bien formés avec un réseau social solide. Les efforts collectifs restent à faire pour leur permettre de se trouver des stages et des emplois dans leur domaine, si on veut les garder chez nous. En effet, faute de soutien, nos finissants se tournent vers les grands centres, d’autres régions du Québec, voire d’autres provinces du Canada.

L’autre stratégie adoptée par les gouvernements pour régionaliser l’immigration a été de privilégier l’établissement des personnes réfugiées en région. Dès le début des années 2000, des personnes réfugiées ont été envoyées dans plusieurs localités du Québec comme Trois-Pistoles, Rimouski, Chicoutimi, Joliette, etc. Encore une fois, le pourcentage de rétention était passablement inférieur au score d’attraction, faute de services d’accompagnement adaptés aux besoins. Depuis environ quatre ans, Rimouski est devenue à son tour une ville d’accueil de réfugiés pris en charge par l’État. Environ 200 personnes réfugiées ont été accueillies, à la suite de quoi on a vu s’intensifier les efforts pour améliorer les initiatives, les services, les ressources d’accueil et d’accompagnement au Bas-Saint-Laurent.

Par ailleurs, on a vu naître des initiatives pour favoriser le déplacement des personnes immigrantes installées à Montréal vers les régions et pour rééquilibrer le nombre de personnes réfugiées par rapport aux immigrants indépendants. Le défi était ici de limiter le nombre de réfugiés et d’attirer davantage d’immigrants indépendants. La priorité étant de favoriser une meilleure adéquation entre les besoins locaux en emploi et les compétences des immigrants.

La révision du Programme d’expérience québécoise réalisée l’an dernier par la CAQ, comme la mise en place de la plateforme Arrima, vise la concordance entre les domaines de qualification des immigrants et les emplois qu’on propose dans les différents coins de la province. Toutefois, le mythe « du bon immigrant pour le bon emploi dans la bonne région », comme l’envisageait le gouvernement Legault, ne me semble ni réaliste, ni éthiquement souhaitable, ni socialement juste. En effet, en plus de proposer aux immigrants des emplois précaires, peu qualifiés et sans possibilités de promotion, ce mythe risque de faire du projet de régionalisation de l’immigration une occasion de réduire les possibilités de promotion des personnes immigrantes et réfugiées en créant plus d’injustices sociales et des limitations de droits.

Nous pouvons constater avec satisfaction aujourd’hui que le nombre de personnes immigrantes est en progression constante tout comme les conditions et les ressources d’accompagnement. Cependant, il faudrait rester vigilants pour résister à la tentation de sacrifier les personnes immigrantes aux sacro-saintes vertus économiques qui relèguent au second plan un accueil bienveillant et repoussent l’urgence de créer collectivement des conditions sécuritaires pour éviter une douloureuse impasse existentielle, professionnelle et sociale, mettant ainsi en danger la santé globale des personnes immigrantes et de nos communautés.

1. Michèle Vatz-Laaroussi et Gabriela Bezzi, « La régionalisation de l’immigration au Québec : des défis politiques aux questions éthiques », Nos diverses cités, no 7, printemps 2010 et Michèle Vatz-Laaroussi, Lucille Guilbert et Gabriela Bezzi, La rétention de l’immigration dans les régions du Québec : une étude longitudinale de trajectoires d’immigrants au Québec, Université de Sherbrooke, Université Laval.

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