Avec un titre aussi menaçant, on pourrait s’attendre à un manifeste empreint de rage de la part de François Landry qui signe ici son septième livre, mais ce qui ressort de son ouvrage est essentiellement un sentiment général de déception devant l’état actuel du monde. On sent l’auteur aigri par ce qui lui échappe et qui nous concerne tous collectivement. Son récit est un véritable cri du cœur nous invitant à entamer une réflexion afin de sauver ce qu’il reste du monde tel qu’on le connaît.
L’auteur nous entraîne d’abord dans son enfance passée sur les abords du fleuve Saint-Laurent près de Rivière-du-Loup. Il y relate comment les changements climatiques et la modernité ont opéré sur le territoire et s’en désole. On perçoit ses regrets de l’époque révolue de son enfance alors que la modernité n’avait pas encore transformé son environnement natal. Quiconque ayant quitté l’endroit où il a vécu sa jeunesse pourra se sentir interpellé par ce passage. Tous reconnaîtront ce fort sentiment de nostalgie s’emparant de l’exilé lorsqu’il revient longtemps après, constatant que les lieux ne seront plus jamais tels qu’il les a connus. La langue portugaise use du mot « saudade » pour décrire cette mélancolie d’une époque ou d’un lieu changé à jamais, mot qui malheureusement ne connaît pas d’équivalent en français, mais qui qualifie très bien le point d’origine du présent récit.
Au fil des pages, on s’enfonce avec François Landry dans sa forêt des Laurentides. Au passage, on prend le temps de s’émerveiller avec lui lorsqu’il présente les oiseaux qui faisaient autrefois partie de l’écosystème adjacent à sa maison dans les bois. On se laisse attendrir lorsqu’il parle de sa « toutoune », une femelle chevreuil qu’il a presque apprivoisée. À travers une promenade en forêt, l’auteur jongle habilement avec un langage soutenu, parfois même poétique, parfait médium pour transmettre son amour de la nature. On sent sa sensibilité se découvrir tandis qu’on avance au cœur de la forêt. On sent aussi sa franche désolation face au sort réservé à l’environnement et à celui de l’humanité.
Alors qu’il traite de l’occupation du territoire avec une plume acerbe, on ne peut s’empêcher d’entamer une profonde réflexion. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualités du travail de l’auteur qui, à travers le récit, nous amène à remettre en question des pratiques tellement ancrées qu’on n’y prête plus attention. En qualité de sociologue, l’auteur possède une excellente capacité d’analyse des mécanismes sociaux qu’il décortique tout aussi bien. Il ne manque pas de secouer le lecteur afin qu’il se réveille enfin.
La balade en forêt ne se fera pas sans rencontrer au passage d’autres humains, que l’auteur présente de manière remarquable. Ils ne seront toutefois que de passage, puisque c’est d’abord et avant tout le narrateur qui se retrouve au centre du récit. Ses interactions avec les personnages, rencontrés tantôt lorsqu’il arpente son terrain, tantôt lorsqu’il bûche, nous aideront à mieux saisir la profondeur de son propos.
Le bois dont je me chauffe est de ces récits qui méritent qu’on y revienne, de temps à autre, après un certain moment. Chemin faisant, cette marche en forêt avec François Landry tracera de nouvelles pistes de réflexion qui nécessiteront qu’on y revienne, ultérieurement, question de voir si l’on a tiré des leçons de cette lecture. Un récit à lire avec attention et contemplation.