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LE CAPITALISME ET LE PISSENLIT SOCIÉTAL

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LE CAPITALISME ET LE PISSENLIT SOCIÉTAL

La grève, l’air salé, le ciel rougeâtre qui s’étend jusqu’aux montagnes derrière lesquelles le soleil tombe. Paysage de mes rêves, qui était pourtant à ma portée, qui était là, qui m’attendait, patiemment. La crise sanitaire m’a sorti du trou, du chaos de la ville auquel je m’étais si lourdement habitué. J’ai répondu à l’appel, j’y suis allé sur-le-champ.

Le milieu maraîcher m’était totalement étranger. Je suis arrivé sur les berges du fleuve comme un intrus. Il fallait tout apprendre, tout comprendre, tout essayer. Rapidement, j’ai constaté l’étendue de mon ignorance, l’absurdité de mes connaissances qui devenaient futiles en dehors des rouages consuméristes de la ville. J’ai labouré, semé, désherbé pour finalement récolter tous ces légumes, que je n’avais vus que sous l’éclairage aliénant des épiceries, dans leurs costumes de plastique générique. La terre m’a donné de son savoir. La terre, dans toute son authenticité et sa diversité, m’a montré des légumes que je n’avais jamais vus.

On les appelle les « imparfaits ». Pourtant, ils sont beaux. Le moindre défaut et ce n’est plus un produit, pourtant, c’est toujours un légume. Ils ont été cueillis au même endroit que les autres, ils viennent de la même terre, des mêmes semences. Mais un petit trou, une petite bosse, et c’est un « imparfait ». On ne pardonne pas la terre pour l’hétérogénéité de ses cultures, dans une ère où l’industrie standardise tout, où la moindre divergence est un défaut. On aime bien prétendre encourager l’alimentation bio, pourtant on n’accepte nos légumes que dans une condition qui n’est possible qu’à travers l’utilisation de pesticides, d’insecticides et d’herbicides. Trop petit : jette. Trop gros : jette. Bosselé : jette.

CONSOMMER OU CULTIVER?

Cette relation que la société moderne entretient avec l’alimentation est issue d’une grave ignorance. L’ignorance que j’avais, il y a quelques mois et contre laquelle je lutte toujours. Tout ce qui se retrouve à l’épicerie devient un produit. L’animal n’est plus un animal, c’est une tranche de viande plastifiée. La carotte ne sort plus de la terre, elle sort d’un emballage. La pomme ne pousse plus dans l’arbre, elle pousse sur une étagère. Certes, nous sommes conscients des origines de ces produits, nous connaissons la théorie : les pommes poussent dans les pommiers et les carottes sortent de la terre; mais la relation primaire que nous entretenons avec eux est une relation superficielle, une relation d’objet consommé et non d’objet cultivé.

La société moderne ne cesse de nous éloigner des sources de notre alimentation, éloignement tant psychologique que physique. L’éloignement psychologique est issu de la transformation de l’aliment en produit, l’éloignement physique, lui, est évidemment issu des importations massives auxquelles presque aucun pays développé n’échappe. Ces deux distanciations sont des conséquences directes d’un système économique qui soumet tout aux lois du libre marché et transforme un élément fondamental de la vie humaine, l’alimentation, en industrie envahissante qui n’a pour but que la production de masse au profit optimisé. Cette production de masse nourrit une population qui vient renforcer par sa croissance sa dépendance à ces méthodes de production perverses. Le capitalisme crée le problème pour lequel il fournit la solution.

Les villes modernes sont une conséquence directe du dogme de la croissance. Les fondements du capitalisme dépendent d’une concentration de population qui rend les masses de travailleurs disponibles au travail d’usine, de bureau, etc. Cette domination industrielle et corporative génère un climat d’hyper compétitivité dont s’imbibe la culture urbaine pour définir ses modes d’existence. Partout, tout est une compétition. La ville impose le système qui la soutient.

Or, exacerbé par les derniers bouleversements engendrés par la pandémie, un mouvement d’exode vers le monde rural a commencé récemment. Du moins, un mouvement idéologique. Mais permettez-moi d’en douter. Le problème est que, comme pour beaucoup de tendances sociales qui tentent de poser une réflexion sur notre mode de vie, le système capitaliste et la culture consumériste sont là pour l’écraser. Pour l’aligner dans toute leur intransigeance avec leurs intérêts rigides. Difficile de lutter contre un système dont nous sommes le produit.

Je ne voudrais pas promouvoir le découragement : le mouvement pourrait s’avérer permanent si la conscience collective accepte de revoir à ses racines les prémisses que nous tenons pour acquises comme faisant partie de la vie moderne. Les changements que nous voulons tous — respect de l’environnement, autosuffisance, abolition des inégalités socioéconomiques et, ultimement, émancipation et libertés humaines — sont tout simplement incompatibles avec la société actuelle. Et la première étape, c’est de comprendre qu’il faut s’attaquer au problème à sa source. Inutile de couper une mauvaise herbe en surface. Pour l’éradiquer, et permettre aux cultures désirables de pousser, il faut la déraciner. Déraciner pour libérer.

Voilà, ce que la terre m’a appris.

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