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LA FIN DU POUVOIR POLITIQUE

Par Jeanne Manseau-Noel le 2020/09
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LA FIN DU POUVOIR POLITIQUE

Par Jeanne Manseau-Noel le 2020/09

Un autre monde non seulement est possible, il est en route, et par une journée tranquille, si vous écoutez attentivement, vous pouvez entendre son souffle.

— Arundhati Roy

Àsa sortie en salle en 1996, le film La Belle Verte de Coline Serreau faisait un constat lucide en racontant avec humour l’histoire d’une communauté autosuffisante et sobre vivant sur une petite planète voisine de la Terre. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le peuple de la Belle Verte évolue sans gouvernement et doit son organisation efficace et sa paix relative à ses assemblées citoyennes quotidiennes, à ses conseils de planète annuels ainsi qu’à une communication régulière et authentique entre les citoyens et les citoyennes. Bien loin d’une société chaotique où chacun fait à sa tête, il est évident que tous ont appris au préalable à faire la différence entre licence et liberté. Comme l’indique la pédagogue Naomi Aldort dans le documentaire Être et Devenir : « La liberté est l’authenticité, c’est l’habileté d’être vous-même et de poursuivre le chemin vers lequel vos propres réalisations et votre intérêt authentique vous guident1. » La licence est une liberté excessive, c’est la permission de faire tout ce que l’on veut, même au détriment des autres. La licence n’est pas nécessaire, et personne n’y a droit.

Au quotidien, les habitants de cette planète fictive, la Belle Verte, ont établi de nombreuses habitudes de vie qui permettent une évolution fluide et respectueuse de leur société. Avant tout, leur conseil de planète annuel a toujours lieu au sommet d’une montagne, car la pensée serait plus claire et ordonnée après une longue randonnée en pleine nature, comme le philosophe Henry David Thoreau en témoigne : « Je crois que je ne pourrais entretenir ma santé physique et intellectuelle si je ne passais pas au moins quatre heures par jour – et souvent davantage – à me balader dans les bois, par les collines et les champs2. » Par ailleurs, beaucoup de temps est consacré à l’étude, aux exercices du corps, à la permaculture et à la saine alimentation. Les repas sont végétariens, l’enseignement se déroule en plein air, et des disciplines telles le yoga et le trapèze volant se transmettent de génération en génération. Chaque habitant, peu importe son âge, participe avec simplicité et selon ses capacités aux tâches qui permettent l’épanouissement de la communauté. Comme le rappelle l’activiste indien Satish Kumar : « Personne ne devrait être obligé de travailler plus de quatre heures par jour. […] Le reste du temps devrait servir à nourrir son esprit et son âme, à développer son imagination et sa créativité3. »

Dans le long-métrage, les habitants de la Belle Verte mentionnent qu’eux aussi, autrefois, ont connu l’ère industrielle et consumériste. Sur leur planète, d’autres ères ont succédé à la période technologique. D’abord l’ère du boycott : tout ce qui nuisait de près ou de loin à la nature, on ne l’achetait plus ou on s’en débarrassait. Puis l’ère des grands procès : tous les gouvernements, entreprises et responsables politiques qui avaient compromis la vie des écosystèmes étaient jugés coupables du crime d’écocide. Ce fut la guerre civile. Et enfin, la période du chaos prérenaissance durant laquelle une organisation sociétale en harmonie avec l’environnement prit place. Au sein de ce peuple, tous portent une attention particulière au nombre d’enfants à mettre au monde afin de pouvoir offrir à chacun un milieu de vie et une éducation de qualité selon les ressources limitées de leur petite planète. Au final, ces humains extraterrestres apprécient les concerts de silence et planifient annuellement des voyages spatiaux pour visiter les habitants des planètes voisines.

Il est intéressant de noter à ce propos que le mode de vie fictif présenté dans La Belle Verte n’est pas une doctrine et encore moins un mirage réservé à des utopistes en marge de la société. Il s’agit certes d’une fiction, mais par laquelle tout permet de croire qu’une société durable et saine peut voir le jour au-delà du pouvoir de la politique et de la religion. Dans son livre Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons?, Rob Hopkins, enseignant de permaculture et créateur du Réseau des villes en transition, pose une question fondamentale : comment pourrions-nous espérer bâtir un monde différent si nous ne sommes pas d’abord capables de l’imaginer? Cyril Dion, qui signe la préface, confirme : « Nos structures sociales, nos institutions, nos lois, nos règles, nos normes, nos moyens d’échanges (l’argent par exemple) sont une succession de fictions. Par fiction, j’entends des créations collectives, d’origine humaine, qui n’ont pas d’existence intrinsèque4. » Ces fictions mondialisées prennent leur source dans des croyances et des peurs collectives si profondément ancrées qu’elles sont souvent confondues avec la réalité.

Ainsi, l’idée que les lieux de vie des humains prennent la forme de villes qui sont gérées par des mairies, que les continents jadis sauvages et libres soient nommés des pays sous la gouvernance de premiers ministres et de présidents, tout cela est d’abord et avant tout du domaine de la fiction, et rien n’oblige la société à continuer d’évoluer en ce sens. Il suffit de changer le cours des choses. Comme le disait si bien Henry David Thoreau : « Être admis dans le foyer de la nature ne coûte rien. Personne n’est exclu, c’est de nous-mêmes que nous nous en excluons. Vous n’avez qu’à écarter le rideau5. » Que ce soit en rejoignant un réseau engagé ou tout simplement en continuant de se renseigner et en posant des gestes qui ont du sens au quotidien, il est possible de révolutionner fondamentalement et durablement la société. Tel que n’a cessé de l’affirmer le philosophe Jiddu Krishnamurti : « Voilà pourquoi il est si urgent pour vous de recevoir une vraie éducation, ce qui signifie que vous devez avoir des professeurs capables de vous aider à briser le carcan de la prétendue civilisation et à être non pas des machines répétitives, mais des individus qui aient vraiment en eux quelque chose qui chante, et qui soient donc des êtres humains heureux et créatifs6. »

1. Clara Bellar, Être et devenir, Pourquoi Pas Productions, 2014.

2. Isabelle Schlichting, Les citations écologiques avant l’heure, Folio, 2017, p. 113.

3.Satish Kumar, Vers la sobriété heureuse, https://enquetedesens-lefilm.com/video/vers-la-sobri%C3%A9t%C3%A9-heureuse

4. Rob Hopkins, Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons?, Actes Sud, 2020, p. 12.

5. Isabelle Schlichting, Les citations écologiques avant l’heure, Folio, 2017, p. 137.

6. Jiddu Krishnamurti, Le sens du bonheur, Stock, 2006, p. 82.

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