Les symboles du colonialisme et de l’esclavagisme basculent sur leur socle. On déboulonne les statues de l’oppresseur, comme on l’a fait avec celles de Staline et de Saddam Hussein, grands fracas qui éclaboussent les pages d’une Histoire autrement dédiée à la seule gloire des conquérants et des vainqueurs. Les flammes montent des centres-villes et des banlieues sous le flot hurlant des sirènes qui n’en finissent pas de mugir, pendant que les attroupements se multiplient et que les forces de l’ordre peinent à maintenir la paix sociale. Les choses se calment quelque peu, les manifestations deviennent moins violentes, se transforment en regroupements pacifiques. Un autre Noir est tiré à bout portant, la poudrière s’enflamme à nouveau…
Comment réformer des sociétés où l’exploitation à outrance de tout ce qui est exploitable s’avère la vertu suprême? Comment éradiquer cette tare qui afflige l’âme humaine depuis la nuit des temps? Pourquoi cherche-t-on à ériger sa fortune personnelle sur le dos des autres, en les traitant comme on ne traiterait pas ses propres animaux de compagnie et en leur retirant toute forme d’humanité? Cherchez les traces de tout patrimoine important, remontez la piste de ces gens célèbres et célébrés qui, de génération en génération, se passent le flambeau de la richesse et d’une gloriole sociale ostentatoire, la plupart du temps, vous trouverez à la genèse de ces réussites et de ce flamboiement quelque précurseur vicieux, quelque prédateur sans scrupules prêt à tout pour s’enrichir.
L’Espagne, le Portugal, la Hollande, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, toutes ces nations se sont érigées et ont prospéré à la faveur et au détriment de leurs colonies. Les États-Unis, dont la naissance et l’érection en république furent saluées par tous les esprits éclairés comme le triomphe de la démocratie, au temps des monarchies poussiéreuses et déclinantes, ont pourtant bâti leur gloire et leur fortune en exterminant les Premières Nations, en squattant leurs terres, et en utilisant comme moteur de leur économie une manne ouvrière arrachée de force à ses terres ancestrales. N’allez pas trop fouiller dans les archives ou gratter à la surface des choses, vous découvrirez rapidement que notre confort et notre relative aisance sont de fait cimentés par le sang et la sueur des autres, une réalité que par ailleurs la littérature et le cinéma illustrent et documentent abondamment. Et ne croyons pas que malgré les apparences et notre soi-disant candeur, il nous sera toujours loisible du fond de nos terres nordiques de feindre l’innocence et de montrer patte blanche. Ce serait oublier que John A. Macdonald, le premier premier ministre du Canada, a créé les réserves indiennes dans le but d’exterminer par la famine les Amérindiens des Prairies en vue de faciliter le passage du chemin de fer du Canadien Pacifique. Et ce serait aussi oblitérer le rôle qu’a pu jouer un certain Edmond Langevin, grand vicaire du diocèse de Rimouski de 1867 à 1889, dans le dossier de la « rétrocession » des terres concédées aux Malécites dans le Township Viger (Saint-Épiphane). Nos confortables œillères nous empêchent aussi de voir que toutes ces bébelles tellement inutiles, ces vêtements et autres attributs du confort moderne qu’on peut se procurer chez Walmart ou au Dollarama pour une poignée de dollars ont été confectionnés à l’autre bout du monde par des enfants ou des adultes exploités et sous-payés.
Lorsque les sociétés atteignent une certaine aisance, plus personne en leur sein ne veut s’acquitter des basses besognes du quotidien, ces tâches éreintantes qui demandent trop d’efforts, sont mal rémunérées et ne sont pas valorisantes. C’est pourquoi nous importons de la main-d’œuvre étrangère saisonnière pour sarcler les champs et cueillir nos légumes. C’est pourquoi ce sont le plus souvent des femmes noires issues de l’immigration qui curent et torchent nos aînés et aînées, et font le ménage dans les maisons bourgeoises. C‘est peut-être à ces gens-là qu’on devrait élever des statues.