
Au bout du fil, Gilles Boulianne semble dépité. « Est-ce qu’éventuellement, on va devoir penser à fermer des accès au parc? Je ne voudrais pas en arriver là. Car nous avons un joyau qui est libre d’accès, et c’est merveilleux. C’est quelque chose qui n’existe plus ailleurs. Partout où on va, il faut mettre la main à la poche. »
M. Boulianne parle du parc régional de la Seigneurie du lac Matapédia, un territoire de 133 km² situé entre Amqui et Sayabec, où l’on trouve des sentiers de randonnée et des plages.
Depuis le temps qu’il travaille pour la MRC de la Matapédia, ce technicien en aménagement est habitué aux incivilités dans cette zone. Il y retrouve souvent des tas de branches ou de feuilles provenant du voisinage. « En soi, c’est pas si pire, mais il y a un effet d’entraînement. D’autant plus que les gens ne se donnent pas la peine d’enjamber le fossé pour aller étendre le tas dans le bois, ils le déchargent sur l’accotement. Des fois, il y a des blocs de béton ou des débris de construction qui viennent avec… »
Mais ce qui s’est passé récemment dépasse l’entendement, explique-t-il.
« Début avril, on reçoit un appel : quelqu’un a “dompé” son “trailer” en bordure de la route d’accès au parc… On va voir ça : ça n’a pas de bon sens. Il y avait un matelas, une vieille chaise, des débris qui vont normalement à l’écosite. Ce qui est malheureux, c’est qu’on dirait que pour certains, des terres publiques c’est à la fois à tout le monde et à personne, donc ils peuvent y faire n’importe quoi. »
Le technicien est un homme rationnel. Il cherche à comprendre ce qui a pu motiver un tel geste. L’écocentre d’Amqui a été fermé quelques semaines dans le but de réduire les risques de propagation du coronavirus dans la population. Frustré d’avoir trouvé la barrière baissée, un citoyen a-t-il décidé de se débarrasser de ses ordures plutôt que de devoir ramener sa remorque pleine à la maison?
Pas le temps de trouver la réponse, que déjà Gilles Boulianne est confronté à une scène encore plus insolite : la semaine dernière, il a eu le plaisir de découvrir… un cadavre de vache! « Je n’avais jamais vu ça… C’est sûr qu’elle n’est pas venue là toute seule, quelqu’un l’a portée là. C’est quoi l’idée? Pour la chasse à l’ours? Est-ce que c’est parce qu’à cause des barrages entre les régions, on ne pouvait pas accéder au service d’équarrissage, qui est à Lévis? » Mais une vache, ça porte un tatouage, donc on devrait être en mesure de retrouver son propriétaire, non? « C’est en décomposition, je ne suis pas allé fouiller après! Les coyotes vont s’en occuper. »
On sent l’employé de la MRC démuni face à ces actes. Le territoire est immense, accessible tout le temps, et il ne peut quand même pas placer des caméras partout… S’il invite les promeneurs à lui signaler les incivilités dont ils sont témoins, il est conscient que beaucoup lui échappent. Et à chaque fois, il faut mobiliser du personnel. Un banc ou un panneau d’interprétation arraché, comme c’est aussi arrivé cette année, cela signifie que quelqu’un va devoir marcher deux heures dans le bois en portant l’équipement nécessaire à la réparation sur son dos…
Dans certains cas, l’insouciance de certains visiteurs peut même devenir dangereuse. Ainsi, la semaine dernière, en pleine canicule précoce, les pompiers ont dû intervenir pour éteindre des feux laissés sans surveillance. « Au printemps, avant que le feuillage ouvre, les risques d’incendie sont énormes, assure M. Boulianne. Et en début de saison, on n’a pas le personnel pour couvrir tout le parc. Nos hommes d’entretien sont entrés au travail lundi. »
Gilles Boulianne invite toutefois les visiteurs à venir faire un tour à la Seigneurie et à profiter des superbes vues sur le lac Matapédia. Les gestes qu’il décrit sont isolés, et il espère une prise de conscience de la part de leurs auteurs. « J’en appelle à leur bon jugement. Mais la plupart des promeneurs sont super gentils, il y en a qui ramassent des déchets et qui ne nous le disent pas. » Soyez de ceux là, et bonne balade.