
Le 4 mars, 300 millions d’enfants, partout dans le monde, se sont retrouvés en congé. Au Québec, cette situation a débuté le 13 mars. Depuis, plusieurs solutions en demi-teintes ont été évoquées : formations à distance, report des examens ministériels, mention de réussite si des évaluations ont pu se faire en mars, portail d’activités éducatives, requête du ministre pour que le personnel enseignant entre en communication avec les élèves, suspension du remboursement des prêts étudiants, passage des élèves au niveau supérieur en fonction du jugement professionnel des enseignants, etc. Ces idées reposent sur une volonté de rattraper les pertes liées aux apprentissages dont l’école a la responsabilité et de faire en sorte que cette pause obligée ne porte pas préjudice à la mission de l’école : instruire, socialiser, qualifier. Le gouvernement, les parents, la société souhaitent que ce trou dans le calendrier scolaire puisse être comblé et qu’ainsi s’efface rapidement cette entaille à l’arbre de la progression vers la diplomation tout comme on préfère, dans nos maisons, les murs lisses et sans encoches à ceux troués par la pointe d’un crochet. Il faut selon plusieurs agir rapidement pour combler cette lézarde aux 180 jours que doit compter l’année scolaire 2019-2020 et, à ce propos, le ministère de l’Éducation a déjà stipulé qu’il n’était pas question de prolonger l’année scolaire durant l’été. Plutôt que 180, les élèves québécois ont tout juste reçu 120 jours d’enseignement avant que le système ne se mette en veille. Que valent 120 jours de classe? Quelle part d’enseignement l’élève n’aura-t-il pas reçue? Cette lézarde de 60 jours, qu’y mettre à la place, comment et avec quoi la colmater? Et doit-on absolument la colmater par un contenu scolaire?
Plusieurs citoyens mentionnent dans leur curriculum vitae avoir décroché un diplôme à l’école de la vie. Cela arrachera à plusieurs un sourire forcé, chez d’autres poindra un certain mépris, d’aucuns refuseront tout simplement qu’une personne puisse par là faire état d’une qualification comparable à celle sanctionnée par un diplôme. Mais en somme, que vaut le programme scolaire québécois dans des circonstances comme celles de ce printemps? Quelle valeur accorde-t-on aux apprentissages qui se font hors école? Que retiendra mon enfant de cette crise? Quelle pédagogue aurait pu enseigner à mon enfant toutes les leçons qu’il conservera de ce moment crispé? Car à quel autre endroit ou moment aurait-il pu faire ces apprentissages si ce n’est à l’école de la vie, seule école à transmettre le contenu le plus essentiel.
Carences ou apport?
Au lieu de tout de suite chercher à combler les lacunes relatives aux apprentissages scolaires durant cette pause pour trop vite se mettre en mode rattrapage, pensons plutôt à concrétiser des acquis réalisés durant ces temps périlleux dans un diplôme plus (+) et non par un diplôme moins (–). À cet égard et conséquemment, nous croyons qu’il faille déjà annoncer que tous les élèves de la maternelle à la troisième secondaire sont automatiquement promus au niveau suivant. Il est aussi nécessaire de délivrer automatiquement le diplôme d’études secondaires à la cohorte d’élèves actuellement en cinquième secondaire. L’Alberta a déjà pris ces décisions, tout comme les Pays-Bas et la France1,2.
Faisons en sorte que ce vécu soit un apport au cheminement scolaire plutôt qu’une carence. Le ministère de l’Éducation doit mettre en place une participation des élèves et des parents pour élaborer « un plan de développement individuel », constitué d’une série d’objectifs liés au développement de la personne et contextualisé par ce temps de pandémie. Inscrits dans un carnet de formation, ces objectifs doivent être reliés à des éléments du Programme de formation de l’école québécoise, notamment au regard des compétences suivantes : exploiter l’information, résoudre des problèmes, exercer son jugement critique, se donner des méthodes de travail efficaces, exploiter les technologies de l’information et de la communication, coopérer, communiquer de façon appropriée.
Les connaisseurs reconnaîtront les compétences trans-versales qui furent tant décriées. Ne prennent-elles pas dans le contexte actuel un nouveau sens et une pertinence remarquable? Les objectifs déterminés doivent être accompagnés d’exemples de situations que les parents pourront animer ou superviser et auxquelles frère et sœurs pourront participer.
Le retour en classe est advenu, mais le mois de septembre aurait été idéal pour le faire. Un mois devrait alors être consacré non pas à rattraper le temps perdu, mais à consolider le développement de ces compétences par un retour sur les objectifs qui ont été ciblés. C’est un plan sommaire, perfectible, mais avec des améliorations, il pourrait être profitable à toute la société et transformer une pause en mouvement vers l’avant. Déjà, plusieurs affirment que rien ne sera plus comme avant. Est-ce que l’école saura se faire innovatrice, agile et empressée ou ne fera-t-elle que retomber dans des ornières de routine et de sclérose? Cette pause peut être un réinvestissement collectif incroyable pour le développement d’une génération outillée pour faire face à de futurs tsunamis sociosanitaires qui nécessitent des compétences et des savoirs inconnus d’une éducation routinière. D’ici le déconfinement, il faudra être prêt à profiter d’une situation inédite et prendre en compte tous les apprentissages faits. Voyons cet événement comme un tremplin pour mieux apprécier et accepter le diplôme gagné à l’école de la vie.
* Comme la situation évolue rapidement, nous précisons que ce texte a été rédigé le 2 avril dernier.
1. Marie-Ève Morasse, « Les écoles se préparent à de longues fermetures », La Presse, 18 mars 2020, www.lapresse.ca/covid-19/202003/17/01-5265175-les-ecoles-se-preparent-a-de-longues-fermetures.php
2. « Pays-Bas : les examens du bac annulés, seul le contrôle continu sera pris en compte », Ouest-France, 24 mars 2020, www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-pays-bas-les-examens-du-bac-annules-seul-le-controle-continu-sera-pris-en-compte-6790268; https://nordpresse.be/le-bac-est-annule-a-cause-du-coronavirus/