Dans une chronique publiée en début d’année dans ce journal, j’évoquais l’impossibilité d’imaginer qu’on puisse mettre un terme à la dégradation de l’environnement et au réchauffement climatique attendu les tendances lourdes qui vont dans le sens contraire et qu’on constate partout sur la planète. Je posais entre autres la question suivante : « Comment peut-on endiguer le développement des mégapoles du monde entier? » On sait aujourd’hui que sans nécessairement couper les moteurs à jamais, un simple petit virus peut tout au moins parvenir à enrayer la machine pour un « certain » temps (qui n’aura jamais été aussi incertain).
Post mortem, mea culpa, bilans, analyses rétrospectives, enquêtes et recherche de coupables, tout cela se fera en temps et lieu et on peut imaginer que les études, thèses et autres essais pulluleront au cours des mois et des années à venir. On spéculera comme on le fait déjà sur les origines du virus, sur les conditions favorables à sa propagation et à sa dissémination, sur sa structure moléculaire, sur les possibilités de récidive ou de résurgence. Les autorités médicales et les gouvernements chercheront à établir en quoi ils ont failli à la tâche en ce qui concerne principalement le soin apporté aux aînés et à quel degré des années de négligence, de compressions budgétaires et de je-m’en-foutisme ont transformé ce que certains considéraient déjà comme des mouroirs en de véritables abattoirs. Les théoriciens de la pensée évoqueront la primauté de la science en regard de ces élucubrations fallacieuses énoncées par des gérants d’estrade de tout acabit, et il sera clairement démontré que les parangons de la droite libertarienne et conservatrice se seront eux-mêmes étouffés dans leur logorrhée mortifère. On verra encore une fois que ce sont toujours les plus défavorisés qui écopent : les Noirs, les Navajos et autres des Premières Nations, les habitants des favelas et les réfugiés entassés dans les camps.
Sur le plan individuel, après ces mois de confinement et cette comptabilité quotidienne de l’horreur qui aura remplacé les statistiques du hockey à la télévision, chacun, chacune d’entre nous aura réfléchi à son existence propre, à la nature des liens qui nous unissent, à la façon dont nous avons décidé de vivre en société, à la faillite financière et sociétale à laquelle nous serons confrontés. Chacun, chacune dénombrera ses morts : tante Ursule qui était « ben fatigante » mais si fine avec les enfants; monsieur Zilberg qui avait survécu aux camps de concentration et qui faisait preuve d’une résilience exemplaire; grand-maman Trudel qu’on n’avait pas été voir au CHSLD depuis des lustres…
Oui, je vous avoue que j’ai pleuré. Que je pleure encore. Tant de désolation! Mais ce qui m’émeut aussi, ce sont les élans de solidarité, l’incroyable don de soi de nos « anges gardiens », l’exemple donné par mon peuple, le courage, parfois maladroit, de certains de nos dirigeants qui n’ont pas déserté le front, reconnaissent leurs torts et disent les vraies affaires. Tout le monde s’est fait prendre les culottes baissées, mais il y en a qui les ont relevées plus vite que d’autres. Ce qui me bouleverse aussi au plus haut point, ce sont les œuvres d’art, la musique, la littérature, les œuvres picturales, le cinéma; ce qui émerge du passé, ce qui se crée au temps présent, qui illustre le meilleur de nous-mêmes, le meilleur de l’humanité, et qui supplante toutes les atrocités actuelles et passées, recouvrant ces funestes hécatombes d’un voile de lumière et d’espérance.
Oui, mais ne perdons pas de vue ce qui se cache derrière cette crise, ce décor qui était là bien avant et que nous aurions tort d’occulter. Si, « comme disent les craqués », cette pandémie s’avère un des dommages collatéraux de la mondialisation, voire une conséquence directe de la façon dont on traite la nature, nous ne devrions surtout pas baisser la garde. De fait, nous devrions profiter de ce que le monde est « sur pause » pour nous poser les vraies questions et entamer une véritable révolution eu égard à la façon dont nous usons de notre seule planète. Parce que les vagues à venir ne seront peut-être pas aussi subites et inattendues que celles qui nous submergent en ce moment, mais elles n’en seront pas moins mortelles, et il n’existe aucun vaccin pour contrer l’apocalypse.