
Malgré le tragique, le temps suspendu me fait du bien. Je fais comme tout le monde pour essayer de comprendre cette crise sanitaire qui ressemble à une panique mal orchestrée et dont l’origine est mal définie. L’appel au confinement pour tous risque d’entraîner des conséquences sociales plus graves que la COVID-19. Ça ressemble aux emballements boursiers, mais cette fois c’est la dérégulation mondiale du système de santé qui se révèle sous le « contrôle » de scientifiques bien souvent à la solde de l’industrie pharmaceutique pour qui la santé est un marché lucratif. L’événement dévoile le laxisme des institutions politiques, sinon l’effondrement du politique devant l’absurde logique de la croissance économique sans limites, d’une « épidémie plus médiatique que sanitaire1 », d’un engendrement de la maladie par un système hospitalier, qu’Ivan Illich appelait la « iatrogénie structurelle ».
Devant le manque de moyens pour contrer ce qu’on aurait pu prévoir, nous avons mobilisé tous les ingrédients qui provoquent la peur, la méfiance, la panique, l’anxiété, le contrôle (notamment l’insoutenable répression policière dans les parcs publics), créé l’illusion de la transparence et commandé la distanciation physique et le confinement comme si, depuis le Moyen-Âge, on n’avait pas avancé d’un iota. Si les mesures d’hygiène sont essentielles, puisqu’elles sont à l’origine des moyens pour contrer la transmission des maladies, l’injonction de se laver les mains ne peut éponger les conditions d’insalubrité de plusieurs logements dans les quartiers pauvres. Une situation que les groupes communautaires dénoncent depuis belle lurette sans que l’on soit intervenu de façon adéquate par des politiques publiques d’accès à des habitats appropriés. C’est la même réalité que vivent les personnes âgées confinées dans des établissements souvent insalubres qui manquent de moyens et de personnel pour les accompagner en toute dignité. Il y a dans ce confinement quelque chose d’inhumain où le troisième âge est considéré comme une sorte de tiers-monde, nous disait le sociologue Jean Beaudrillard, dans nos sociétés ne célébrant que le culte de la jeunesse. Et l’interdiction de rendre visite aux gens âgés n’est qu’une application insensible de la loi qui fait abstraction de toute forme d’humanité et qui les laisse seuls devant la mort. Cela en dit beaucoup sur nos sociétés qui ont réduit l’humain à une courbe et à des statistiques, mis au rancart le bien commun tout en sabrant dans le système de santé, oubliant le principe de précaution (manque de matériel sanitaire — gants, masques, vêtements, etc.) tout en naviguant dans l’abîme de l’aveuglement des problèmes sociaux. (Et, faudrait-il préciser, les engorgements hospitaliers et les conditions du personnel médical, particulièrement des infirmières, étaient déjà dénoncés comme insoutenables avant la COVID-19.) D’autant plus que la manipulation et la projection des statistiques pour annoncer les pires malheurs créent un climat d’angoisse dans un moment où chacun vit, dans le repli de son foyer, des conditions de grandes inégalités sociales alors que les femmes sont encore au front pour éviter l’effondrement du système de santé et que certaines sont confinées dans leur maison aux prises avec le risque de subir de la violence conjugale.
S’il est vrai que l’on pourrait apprendre de cette crise et en sortir avec peut-être une plus grande humanité, la bataille n’est pas gagnée. Et cela, tout le monde le sait et le dit dans les chaumières, sur les réseaux sociaux, dans les journaux… Mais savoir et dire ne font pas en soi un changement de paradigme. Il faudra reprendre nos mobilisations collectives face à la coalition des industriels, des scientifiques, des politiciens et de tous ces experts qui prétendent posséder la vérité (le pharmachien continuera de sacraliser la science et de cultiver l’ignorance savante). Il faut reprendre et recréer des espaces publics de débats afin de faire contrepoids à ceux qui, au nom de la science et de l’intérêt général, parlent à notre place en ridiculisant les savoirs qui remettent en question le bien-fondé de certains vaccins et leurs effets dangereux pour la santé, sous-estimant ou raillant les pratiques alternatives comme si elles étaient de l’antiscience2.
L’enjeu concerne le savoir, devenu une marchandise, qui mobilise les individus au service du capital et la connaissance comme un investissement (ce que nous répètent les universités) avec comme danger de nous réduire à des objets de politiques publiques pour faire comme si on nous accordait de l’attention, de la sympathie, de la compassion au lieu de nous reconnaître comme sujets politiques. Revenir à la réalité d’avant la COVID-19, c’est reprendre les mêmes enjeux sociaux qui nous obligent de manière plus aiguë à réfléchir à ce moment historique comme un « fait social total », pour reprendre la formule de Marcel Mauss, puisqu’il nous révèle l’entièreté des enjeux de nos sociétés du risque et des extrêmes, notamment la question de la biodiversité et plus particulièrement le rapport à la nature. Il y a urgence de poursuivre la réflexion pour que notre imaginaire ne quitte pas le réel ni ne s’enferme dans le virtuel, afin de sortir du moule de l’utopie destructrice du progrès et de la consommation de masse, de l’illusion techno-scientifique dans lequel nous sommes confinés pour aller là où d’autres mondes sont possibles. Irons-nous là après la COVID-19 ? J’en doute!
1. Voir l’entretien avec Jean-Dominique Michel, « Anatomie d’un désastre », avril 2020. https://www.youtube.com/watch?v=4MqArCjrkmI
2. On peut prendre connaissance d’une information pertinente sur l’homéopathie sur le site du Réseau québécois pour la santé des femmes : rqasf.qc.ca/homeopathie