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Jours difficiles à l’aéroport de Mont-Joli

Par Rémy Bourdillon le 2020/05
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Jours difficiles à l’aéroport de Mont-Joli

Par Rémy Bourdillon le 2020/05

Qu’il semble loin, le temps où l’aéroport de Mont-Joli était en pleine croissance. Pourtant, c’était il y a quelques mois à peine. En décembre, les médias saluaient une « année exceptionnelle », marquée par un doublement du nombre de passagers : 66 000 en 2019, contre 33 000 l’année précédente.

Comme le notait Radio-Canada, les déboires des traversiers ne sont responsables que d’une petite partie de cette hausse. Air Canada a modifié ses horaires et affrété des avions plus gros, permettant d’aller à Montréal pour moins cher et d’y attraper une correspondance le jour même pour Paris, Cuba ou la Floride. Les vols de la compagnie Sunwing vers « le sud » ont été populaires. La compagnie terre-neuvienne PAL Airlines a également étoffé son offre. Le 12 mars 2020, elle annonçait encore de nouveaux vols vers Montréal, Saguenay et le Labrador.

Et puis… vous connaissez la suite. « On a eu une baisse de 75% de nos vols en mars et avril, relate le président de la Régie intermunicipale de l’aéroport régional, Bruno Paradis. En ce moment, on est à 50%, principalement du transport de travailleurs vers les mines du Nord. Il n’y a plus de vols touristiques ou d’affaires. » En conséquence, les pertes s’accumulent : 18 à 20 000 $ par semaine pour mars et avril, selon celui qui est aussi préfet de la MRC de La Mitis. « Par chance, on avait fait de bons surplus l’année dernière. On pige dedans pour l’instant, mais on aurait préféré les utiliser pour développer des projets pour notre région. »

L’aéroport YYY a la particularité d’être la propriété de quatre MRC (La Mitis, Matanie, Rimouski-Neigette, Matapédia). Aux yeux de la loi, il est donc considéré comme un organisme municipal, ce qui a de lourdes implications. « On n’a pas le droit à la subvention salariale de 75%, ni aux aides que reçoivent les entreprises », explique M. Paradis. Pourtant, il s’agit d’un service essentiel qui doit toujours rester ouvert, puisqu’il effectue autour de 600 évacuations médicales d’urgence par année. Alors les décisions difficiles n’ont pas tardé : le budget annuel d’exploitation est passé de 1,6 à 1,2 millions $. « Malheureusement, on a dû mettre à pied certains employés. Au lieu de 15, on est aux alentours de huit. » Ceux qui restent, incluant la directrice générale qui est la seule cadre, ont pu conserver leur salaire.

Si la situation perdure et que les pertes financières s’accumulent, il reviendra aux MRC de les éponger. En toute logique, elles enverront alors la facture aux municipalités. On est encore loin de ce scénario, dit le préfet, qui espère également une aide financière du ministère des Transports du Québec. Reste que les perspectives ne sont guère encourageantes pour le secteur aérien : l’association internationale, Iata, estime qu’il faudra attendre 2023 pour retrouver le trafic d’avant-crise.

Nuages noirs sur l’aviation

Mont-Joli a profité d’une période faste, rappelle le professeur de l’UQAM Mehran Ebrahimi, spécialiste du transport aérien. « Des compagnies low-cost apparaissaient, on voyait le transport aérien comme un instrument de développement régional. Mais la crise qui vient est profonde. » Air Canada a récemment annoncé le congédiement de 20 000 employés, et il faut s’attendre à des bouleversements dans le ciel. « Les compagnies font leur argent avec les longs trajets, comme les vols internationaux. Elles vont donc se concentrer là-dessus, et couper le reste au maximum. Les aéroports régionaux, c’était un plus pour elles, et ils ne font plus partie de leurs priorités. » En d’autres termes : ce seront les premières victimes. 

Les nouvelles mesures sanitaires vont s’avérer coûteuses pour les plus petites compagnies, ajoute le professeur. Dans un vol long courrier, 30 à 40% des places vont devoir être supprimées pour permettre la distanciation. Dans les avions régionaux, c’est carrément 60%, ce qui rend les vols non rentables.

Ces données n’entament pas la confiance de Bruno Paradis. PAL Airlines n’a pas renoncé à ses projets mais les a seulement reportés à l’automne, assure-t-il. L’aéroport entend par ailleurs consolider ses liens avec le secteur touristique en offrant des forfaits tout-inclus. Par exemple, des propriétaires de start-up montréalaises pourraient atterrir à Mont-Joli et aller faire des séances de brainstorming au contact de la nature aux Jardins de Métis.

Toutefois, un autre défi de taille se présente, à l’heure ou le « flygskam » (la honte de prendre l’avion) progresse : rendre cohérente cette volonté d’augmenter le trafic aérien avec la déclaration d’urgence climatique que la MRC de La Mitis a endossée en 2018. « On pense que le transport aérien est là pour rester, dit le préfet. On s’apprêtait à installer une borne électrique, parce que les avions électriques existent. Pour l’instant c’est seulement des appareils de deux à six passagers, mais on veut participer à l’élan de cette industrie. » Il semble que la réduction drastique du trafic aérien ait un effet beaucoup plus tangible sur le climat à court terme…

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