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Libérons-nous, toutes à la charge!

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Libérons-nous, toutes à la charge!

La parution du livre de Vanessa Springora, Le Consentement, en début d’année, a sorti du tabou la pédophilie contenue dans les œuvres de Gabriel Matzneff, écrivain octogénaire récipiendaire de l’Académie. L’écrivain, qui a fait de ses déviances sexuelles un sujet à creuser jusqu’à ce qu’elles deviennent le fondement de son œuvre, s’est toujours exprimé explicitement, sans aucune réserve et avec une fierté abjecte quant à ses préférences pour « les lycéennes et les minettes », jeunes femmes adolescentes qu’il estime, puisqu’elles « sont plus gentilles, même si elles deviennent très très vite hystériques et aussi folles que quand elles seront plus âgées »[1]. Les jeunes hommes étaient aussi présents dans les relations sexuelles de l’homme, tout comme dans ses livres. Springora était son amante de l’âge de treize à seize ans. Matzneff, qui a tenu ces propos en 1990, à la sortie de son livre Les amours décomposés, plaide l’époque tout en justifiant chacun de ses actes par le consentement mutuel.

Dans une entrevue publiée le 1er février dernier, il assume chaque action passée tout en se disant victime d’acharnement, lui qui a déjà, depuis, perdu la circulation de ses Journaux intimes retirés par Gallimard, sa collaboration avec Le Point et l’interdiction de ses livres à plusieurs endroits, y compris à la Grande Bibliothèque de Montréal. L’auteur se désespère « je n’ai plus rien, je suis tout nu »[2]. Force est de constater le retour du boomerang, Matzneff! Bien que je me réjouisse pas des récents évènements concernant cet homme, je désole encore plus les milieux littéraires – l’édition, les médias et les pairs, qui ont ignoré ses confidences, ses propos machistes humiliants, en partageant ses rires réduisant les femmes, notamment en déplorant leur indépendance, leur force et en valorisant leur « virginité », pendant des décennies.

Il faut noter que l’auteur a reçu en 2009 (!) une distinction de la belle et puissante Académie. Surprenant? Non, mais désolant. L’auteur a toujours reçu l’appui du milieu, oui, à l’exception d’une villageoise non pas gauloise, mais québécoise : Denise Bombardier qui a foncièrement et intelligemment présenté son désarroi et sa stupéfaction face à de tels propos, en 1990. Celle qui, aujourd’hui, confond un habit de députée et un essai de séduction pervers et est obsédé par les politiciens « mâles »[3], semble malheureusement dépossédée de son intelligence féministe d’auparavant.

Vanessa Springora a initié une indignation littéraire et sociale face à un prédateur jusque-là glorifié. Et son propos résonne sans doute puisqu’elle l’a évoqué en parlant la même langue que Matzneff: la littérature. Elle le dit elle-même : « J’ai écrit ce livre avec l’espoir qu’il entendrait peut-être ma parole, si je lui répondais sur le même terrain : le sien. » [4] Depuis toujours les femmes utilisent l’encre pour accéder à la parole, parole qui leur était interdite dans la sphère publique. Réfugiées dans la sphère privée, contenues dans des livres, leurs paroles portent écho de génération en génération et il est heureux de constater que la littérature peut encore servir d’arme féministe, bien qu’on soit loin de la fin du sexisme et de la parité dans les milieux littéraires institutionnels et académiques. Springora, une des nombreuses survivantes des relations pédophiles de Gabriel Matzneff, avoue libérer son vécu pour s’en départir et en aider d’autres à faire de même.

Le 8 mars se tiendra une énième Journée internationale des droits des femmes. J’utilise cette histoire pour tenter de transmettre du courage à chacune des femmes pour qu’elles se libèrent un peu plus cette année. De leur image, de leur agresseur, des stéréotypes, de leur conjoint, de leur passé, d’un rôle forcé, des jugements, des cat-calls, du slut-shame, des machistes, des standards, de leur sexualité… de n’importe quelle forme de toxicité dans laquelle le patriarcat continue de nous enfermer, de nous libérer à notre manière propre, dans nos croyances, nos différences et notre union.


[1] Propos tenus par Gabriel Madzneff, contredis par Denise Bombardier lors de l’émission « Apostrophe », 1990, en France. https://www.youtube.com/watch?v=H0LQiv7x4xs

[2] Entrevue accordée à Matzneff par BFMTV, 1er février 2020, en France. https://www.youtube.com/watch?v=Q6tSnuAPV9w

[3] Denise Bombardier s’attaque au costume de la député Catherine Dorion. https://www.journaldemontreal.com/2019/11/05/la-deputee-aux-longues-jambes

[4] Entrevue accordée à Vanessa Springora par François Busnel dans « La Grande Librairie », 15 janvier 2020, en France.

https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-12/1143743-la-grande-librairie.html

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