
Depuis quelques années, beaucoup de municipalités au Québec et ailleurs transforment leur éclairage de rue en remplaçant les ampoules à incandescence par des ampoules DEL (diodes électroluminescentes) qui présentent certains avantages, notamment sur le plan de l’économie d’énergie. À Rimouski, une firme étudie depuis 2019 plusieurs scénarios de modification de l’éclairage. Faut-il se méfier de l’éclairage DEL? Si des chercheurs se sont d’abord inquiétés des effets de la lumière artificielle sur le ciel étoilé, des biologistes et des médecins s’intéressent de plus en plus aux effets de cette lumière sur l’environnement et sur l’humain, en particulier sur son cycle circadien (l’horloge biologique).
Trop de bleu
Une étude commandée par la Ville de Montréal1 répertorie nombre d’avantages de l’éclairage DEL : grande efficacité énergétique, longue durée de vie et réduction de la fréquence des remplacements, absence de mercure et d’autres matériaux polluants, allumage instantané (utile pour certains lieux de passage) et gestion de l’éclairage par des systèmes de contrôle intelligent. Toutes ces qualités peuvent séduire, mais un éclairage à diodes électroluminescentes ajoute beaucoup de lumière bleue dans l’environnement alors que ce type de lumière a un effet sur la mélatonine (l’hormone du sommeil sécrétée en l’absence complète de source lumineuse). Une ampoule traditionnelle émet environ 8 % de lumière bleue, contrairement à une ampoule DEL blanche qui peut en émettre jusqu’à 40 %, c’est pourquoi toutes les recommandations récentes optent pour des ampoules DEL ambrées, qui ne contiennent pratiquement pas de bleu, ce qu’a récemment choisi la Ville de Sherbrooke pour ses luminaires.
Martin Aubé, professeur de physique et chercheur en pollution lumineuse, a participé à une étude qui mettait en relation les données médicales de 4 000 individus et différents degrés d’éclairage de rue en Espagne. Les résultats de l’étude ont surpris les chercheurs : ils établissent des corrélations claires entre l’exposition à la lumière bleue perçue la nuit et certains cancers hormonaux dépendants. Si tous les mécanismes ne sont pas encore définis, « la lumière bleue est entre autres montrée du doigt parce qu’elle favoriserait la suppression de la mélatonine, l’hormone du sommeil » et il semble que très peu de lumière bleue soit nécessaire pour entraîner une perturbation.
Par ailleurs, de nombreux autres travaux notent que la faune et la flore, les oiseaux migrateurs, les insectes nocturnes, des espèces végétales sont affectés par la croissance de l’éclairage artificiel. Pour Martin Aubé, il importe de changer les pratiques : éclairer seulement si on en a besoin et au moment nécessaire, contrôler l’orientation et l’intensité de la lumière (pour éviter d’éclairer le ciel ou les forêts environnantes), changer la couleur de l’éclairage. Si on sous-estime l’importance de cette question, étonnamment, on peut lire sur le site de la Réserve internationale de ciel étoilé du Mont-Mégantic que le Québec est la « zone géographique réputée pour générer le plus de lumière par habitant au monde »!
Contempler les étoiles
Protéger l’accès au ciel étoilé est essentiel pour quiconque croit encore que l’humain a besoin de voir plus grand que lui pour comprendre qui il est ou pour l’astronome qui souhaite observer le patrimoine paysager naturel. « Dans les grandes villes, 97 % des étoiles ne sont plus visibles3. » Pourquoi ne pas profiter du réaménagement de l’éclairage de rue pour réduire notre exposition à la lumière bleue, protéger d’un trop grand éclairage l’environnement, la faune et la flore, et améliorer notre « expérience » du ciel étoilé. C’est ce qu’ont fait plusieurs municipalités de la région du Mont-Mégantic (plus d’une trentaine) qui luttent contre la pollution lumineuse et qui ont réussi à retrouver peu à peu leurs étoiles, jusqu’à former la première réserve de ciel étoilé au monde!
Si la Ville de Rimouski présente la transformation de l’éclairage essentiellement comme un projet d’économie d’énergie, ce qui est déjà fort louable, plusieurs villes veulent aller plus loin : Baie-Saint-Paul par exemple travaille à ce que toute la région de Charlevoix devienne une réserve de ciel étoilé et Sherbrooke où, à terme, il sera possible de voir la Voie lactée à l’intérieur même de certains secteurs de la ville. Sherbrooke a d’ailleurs adopté un règlement pour protéger le ciel nocturne et propose des instructions pour que les citoyens, sur leur propre terrain, optent pour un éclairage qui soit efficace sans être abusif ou intrusif. Sur une note un peu poétique, on peut entre autres y lire : « Éclairons doucement la nuit pour en préserver toute la beauté! » D’ailleurs, à l’échelle mondiale, une nouvelle forme d’urbanisme émerge : « l’urbanisme lumière », soucieux de créer des aménagements d’éclairage efficaces et respectueux de l’environnement.
En somme, une bonne conversion de l’éclairage doit non seulement offrir un avantage pécuniaire en termes d’économie d’énergie, mais aussi une réelle protection de la santé, de l’environnement et un accès certain au ciel étoilé.
1. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de l’Île-de-Montréal, Éclairage de rue aux diodes électroluminescentes (DEL). Évaluation des risques à la santé, Québec, 2016, p. 22.
2. Isabelle Pion, « Le lien entre lumière bleue et cancer est établi », Le Droit, 25 avril 2018, https://www.ledroit.com/actualites/sante/le-lien-entre-lumiere-bleue-et-cancer-est-etabli-30fac19e368b94a84bd0b68ccf4d5e14
3. Réserve internationale de ciel étoilé du Mont-Mégantic, « Des impacts multiples », http://ricemm.org/