Art & Création

Sauvagines, un chant de coyotes

Par Élise Argouarc'h le 2020/01
Image
Art & Création

Sauvagines, un chant de coyotes

Par Élise Argouarc'h le 2020/01


Sauvagines
, une fourrure de coyote rousse menaçante qui devient tanière. Sauvagines, une femme traquée par l’obsession braconnière. Qui hurle, comme elle aime.

Le nouveau roman de Gabrielle Filteau-Chiba porte le nom de la fourrure des animaux trappés. Des bêtes traquées. Femmes ou gibier, chien et coyotes. Ce livre d’une force littéraire rare nous emmène dans une double traque, tout en suivant les sentiers d’un amour radical. Pour la nature. Raphaëlle, agente de la faune et de la flore trouve sa husky-coyote prise dans les collets de braconniers, presque morte. Cette solitaire du fond des bois mène un combat passionné pour protéger l’environnement. Cette fois, elle est atteinte personnellement. Sa rage, son instinct mordant l’emporteront-ils sur les jeux mortifères des braconniers? « J’ai voulu raconter des femmes fortes, capables de vivre dans et pour la forêt », dit l’auteure. Des Sauvagines.

« Entre l’espace du visible et les épinettes blanches au loin, mon chien m’appelle, et je cours à l’aveugle vers le son diffus de son mal ». Comme dans son roman, Gabrielle Filteau-Chiba a trouvé sur son terrain sa chienne piégée. Elle a enquêté pour trouver le coupable, pour comprendre le silence des coyotes qui ne chantent plus. De son impuissance sourde, un livre est né. Sauvagines. Tout au long de l’intrigue, Gabrielle Filteau-Chiba nous invite dans son nouvel habitat naturel. « Habiter le territoire permet de ressentir l’urgence de le protéger », dit-elle lorsque je l’appelle dans sa maison construite juste à côté de la cabane au cœur de son premier roman Encabanée.

Entrelacement poétique, féministe et écologiste, le roman Sauvagines appelle à la cohabitation respectueuse. L’auteure tisse le lien entre la violence faite aux femmes et celle faite à la nature. La « forêt est soumise » à l’exploitation et à la pollution. Dans notre système, l’appropriation du vivant est quotidienne. La peur des animaux sauvages justifie les coupes à blanc menées dans une logique économique. Or, ce sont eux les plus vulnérables. Le roman Sauvagines est une pierre de gué dans le chemin de la décolonisation des esprits. « La forêt boréale n’est pas un buffet all you can eat. Où se cacheront les biches pour mordiller les écorces au printemps ? Quelle vue déchirante auront les oies blanches lorsqu’elles survoleront, à leur retour du Nord, nos massacres forestiers? »

Gabrielle Filteau-Chiba n’a plus peur de marcher la nuit en forêt. Avec ce livre, elle lance un cri littéraire pour des ancêtres, comme le Gros Pin centenaire, qui nous assurerait un avenir. Sauvagines est un roman puissant, un hurlement de coyote qui rend hommage à ces vies prises sans qu’on puisse les défendre. Transcendant le constat mortifère, l’auteure fait de sa création une force d’action. Une espérance intelligente se dégage de l’œuvre qui ne fait pourtant aucune concession à la violence de la situation.

L’écriture de Gabrielle Filteau-Chiba est directe et profonde, de bois et de lettres. Elle résonne avec la justesse mélomane de la rivière Kamouraska à même la chair de ceux qui prendront le risque de lire Sauvagines. Un risque réel, celui de quitter les villes bétonnées et la vitesse de vivre. Un risque nécessaire, celui d’être touché par une double blessure systémique dont souffre notre société. Prenez le risque de cette ode à la vie des femmes et à la nature sauvage publiée aux éditions XYZ. 

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

Héliocentrisme

Image

Voir l'article suivant

Un degré de la fugue, une errance pour penser