
Au cours de l’été et de l’automne 2019, la télévision et les journaux ont livré des images des affrontements entre les forces de l’ordre et les partisans d’un Hong Kong démocratique et autonome. Des étudiants se barricadaient sur leur campus refusant de se laisser bâillonner par un gouvernement chinois de plus en plus impatient de mettre un terme « au mauvais exemple » hongkongais. Toutes ces images faisaient écho à un autre soulèvement populaire, celui de la place Tiananmen en 1989. Dans mon esprit, elles ravivaient également le souvenir du personnage de Pinson de Madeleine Thien, de son destin tragique et de celui de sa famille.
Publié en langue française chez Alto en 2018, Nous qui n’étions rien raconte l’histoire de la Chine du XXe siècle et de ses violents bouleversements. Les « traîtres à la révolution » sont montrés du doigt et sévèrement punis. Au pays de Mao, la violence est jugée nécessaire au bien commun et les procès publics engendrent les pires excès. Pinson et les siens payeront très cher leur amour de Bach et de la musique occidentale.
Des années plus tard, les manifestations étudiantes de juin 1989 sur la place Tiananmen sèmeront l’espoir, mais elles scelleront aussi le destin de plusieurs des personnages de Madeleine Thien. Leurs témoignages survivront grâce au Livre des traces, un bien précieux pour ceux des descendants qui auront pris le chemin de l’exil ou qui naîtront loin de la Chine communiste.
Nous qui n’étions rien est un roman au souffle puissant, un récit passionnant de plus de 500 pages qui raconte à quel point nos sociétés humaines sont capables des plus grandes aberrations, mais aussi de tendresse et de solidarité. Habité par la musique, le récit de Madeleine Thien montre également l’importance de l’art dans la définition de notre humanité. Il raconte une histoire de la Chine dans laquelle s’imbriquent des destins individuels empreints de courage, de lâcheté et de résilience.
Déjà récompensé du prix Giller et du prix du Gouverneur général en 2017 pour la version originale en langue anglaise, Nous qui n’étions rien s’est vu décerner un second prix du Gouverneur général à l’automne 2019, cette fois pour sa traduction en français par l’auteure Catherine Leroux.
Pinson, Wen le Rêveur, Vrille et Grand-mère Couteau sont les protagonistes du précieux Livre des traces. Ils continuent de m’habiter bien que j’aie refermé le roman de Madeleine Thien il y a plusieurs mois déjà. Sans aucun doute, ces personnages ont-ils un lien avec les jeunes manifestants de Hong Kong, avec ces partisans de la liberté d’opinion que le pouvoir en place à Pékin voudrait voir se fondre dans le grand tout, devenant ainsi à leur tour ceux qui n’étaient rien.
Née à Vancouver, Madeleine Thien habite Montréal. Nous qui n’étions rien est son troisième roman.