Champ libre

Percé on the roche ou l’algorithme à gaz

Par Eric Normand le 2019/09
Image
Champ libre

Percé on the roche ou l’algorithme à gaz

Par Eric Normand le 2019/09

Je reviens du Festival des Percéides. J’en reviens, en train à 2 h du matin. Je pense à mon récent voyage en Europe: « Ça marche ben les transports en Serbie, finalement. »

Un bus par jour, un train aux deux jours, qu’on attrape à Campbellton grâce à une navette sans toilette ni lumière. Bienvenue en Gaspésie. Pour ma part, ce n’est qu’après deux heures de pouce infructueux que j’ai cédé à l’offre si peu alléchante du transport en commun et que je me suis résigné à payer les quelque cent piastres pour embarquer dans la barouette taguée VIA, parquée près d’un Petro-Canada. La notion de « gare » est encore mal assimilée au Canada. On ne semble pas comprendre qu’en voyage, on est fatigué, on a faim, on a besoin de lecture. Dans les gares canadiennes, il n’y a rien du tout. Dans le bus non plus : il ne reste qu’à rêver. C’est ce que j’ai fait, en traînant l’oeil sur l’horizon.

J’essayais de m’imaginer la Gaspésie d’après. Celle qui naîtra quand notre civilisation décidera de mettre fin au règne de l’automobile. Alors, il faudra ben repenser la mobilité sur la péninsule. Revoir l’interface, réviser les algorithmes. Ce sera l’occasion de repenser la géographie, de changer les lieux et le nombre d’arrêts. Encore plus la raison de ces arrêts. J’imaginais se multiplier les points sur la carte, ceux qu’on peut facilement faire avant d’atteindre Gaspé : « Prochaine station : La Pointe Sec! »

La voiture et le bus sont des interfaces qui dirigent le touriste, animal qui vient ouère d’une borne à une autre. Les bornes à touristes sont aussi appelées stationnements. Elles sont souvent entourées de services : cantines à patates frites, essence, attraits touristiques. L’humain a une fâcheuse tendance au « suivage ». Aussi, on découvrira la Gaspésie à travers différents forfaits, croisières et activités. On ira dans les endroits réputés cool, en oubliant ses petites chapelles en bois, ses maisons aux planches larges dans lesquelles pourraient se passer tant de choses, de rencontres et de partages si nous n’avions pas la manie de traquer les espaces propres et équipés.

On va au café pis au resto. On gentrifie le décor.

Pourtant, tout ici est un attrait. En repensant le transport, on pourrait repenser le décor, réenchanter certains lieux, valoriser l’histoire des gens qui font la Gaspésie, de ceux-là qui rêvent de bout du monde.

Moi, je m’imagine faire des concerts dans ces petites églises anglicanes, entendre des poètes dans d’anciens chalets de pêche, projeter des films sur les voiles d’un bateau, acheter une chaudière de bourgots sur le quai. M’enfin. Je reviens d’un festival à Percé. Certains festivaliers mangeaient des huîtres aux terrasses. Moi, j’ai passé le plus clair de mon temps à cette petite buvette installée dans l’ancien centre d’art de Percé. J’y ai rencontré des gens brillants, des locaux, des gens impliqués et, bien sûr, les artistes de la Grande rencontre des arts médiatiques. Il n’y avait pas de pancarte pour les annoncer 34 kilomètres à l’avance.

En après-midi, Percé est envahie de touristes, venus « juste pour voir ». Au milieu des bruits, on aperçoit à peine le rocher. C’est la nuit que Percé s’active vraiment, quand les touristes ronflent dans leur lit cher payé. Quand les restaurants ferment et qu’arrivent au bar ceux qui y travaillent, ceux qui sont venus ici parce qu’ils rêvent de bout du monde. Nomades ou natifs, ils nous retrouvent pour une pinte d’Auval après leur shift pour discuter.

Partager l'article