Art & Création

Musique-politique, anthologie 1971-1974

Par Robert Bastien le 2019/09
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Art & Création

Musique-politique, anthologie 1971-1974

Par Robert Bastien le 2019/09

Le bruit n’existe pas. Même une explosion est un son.

– Jean-Guy Poirier1

Tour de Bras vient de faire renaître des enregistrements longtemps demeurés muets du Jazz Libre du Québec (JLQ), un groupe à la fois mythique et méconnu. Il s’agit de quatre CD produits à partir de bandes magnétiques s’échelonnant de 1971 à 1974. La qualité de la numérisation est exceptionnelle tout autant que la musique, les mots et les images d’archives qui s’y trouvent. Dans ce coffret, on découvre les artisans derrière cet immense et méticuleux travail de débroussaillage archivistique. En préface, Éric Normand remet en contexte la genèse du JLQ à la fin des années 1960, en rappelant entre autres l’impossible démaillage entre le politique, la musique et la culture, chose rare aujourd’hui. À cette période de notre histoire, les désirs d’affranchissement trouvaient un écho dans cette déclaration stupéfiante du général de Gaulle le 24 juillet 1967 à Montréal : « VIVE LE QUÉBEC LIBRE. » Mario Côté donne des détails sur le long périple des bandes maîtresses ayant servi de matière à la numérisation des quatre CD. Éric Fillion, historien et auteur du livre Jazz Libre et la révolution québécoise : musique-action (M Éditeur, 2019) apporte une contribution inestimable en rappelant le contexte politique de l’époque, mais surtout les motivations esthétiques, politiques et sociales du Jazz libre du Québec.

Plutôt que de présenter de manière classique cette œuvre, j’ai décidé de mettre au premier plan la parole de certains des musiciens du JLQ que l’on retrouve intégralement sur les enregistrements. Prière de bien ouvrir les oreilles et de poser vos orteils dans le riz!

« C’est un questionnaire qu’on fait circuler dans les endroits qu’on visite dans le cadre de notre projet sur les initiatives locales pour voir des groupes de gens, surtout dans les quartiers défavorisés […]. On rencontre des gens, […] entre autres des ouvriers. […] C’est une enquête qui n’est pas destinée aux gouvernements, c’est pour notre information afin de pouvoir comparer la participation des gens issus de différents milieux à des activités culturelles et artistiques. Aller en direction de toutes les classes sociales et comparer, par exemple, la participation des bourgeois avec les classes populaires et, aussi, avec des étudiants. L’idée étant de voir dans quelles mesures les disparités économiques peuvent influencer l’accès à la culture […]. Il y a bien des gens qui n’ont pas accès à la culture et aux arts, justement à cause de leur faible revenu. Le questionnaire qu’on fait passer vise justement à vérifier, chiffres à l’appui, l’existence probante de cette disparité. Nous pourrions éventuellement démontrer, une fois l’enquête terminée, que les possibilités d’accès à la culture sont, à titre d’exemple, vingt fois moindres pour les gens issus des classes populaires. Si on était capable de démontrer l’existence de ces écarts entre riches et pauvres, on pourrait, ensemble, trouver des moyens pour en faciliter l’accès à tous. […] »

(Extrait d’une déclaration de Jean Préfontaine avant l’amorce d’un concert à la Casanou, le 26 mars 1972. Disque 1, pièce 3.)

« À part de ça, on est assez pogné que ce n’est pas le temps de se diviser. Au contraire, c’est le temps de s’unir. Pis ceux qui ont des bibittes, il faut les prendre et les virer en envers. Pis quand est-ce qu’on y va là le jazz libre, j’viens de virer mes bibittes à l’envers. Pis ceux qui ont des bibittes, mettez la tête en bas. La tête en bas pis les orteils dans le riz. À la papi à la papa, à la pipi à la papa… Deux piastres pour le jazz libre… qui dit mieux, deux piastres pour le jazz libre… À la papi, à la papa, deux piastres et quart pour le jazz libre… qui dit mieux. J’ai tout dit ce que j’avais à dire, le Canadien a perdu. »

(Extrait d’une déclaration de Yves Charbonneau avant l’amorce d’un concert à la Casanou, le 12 avril 1972. Disque 1, pièce 4.)

Sortez vos oreilles d’automne, cachez vos boutons de chaleur, mettez votre doudoune d’hier pour affronter, dans le délire, la diversité en écoutant les sons bien engagés et enragés du Jazz libre du Québec.

Le coffret Musique-Politique. Anthologie 1971-1974 est disponible à l’Oblique (Montréal), chez Audition Musik (Rimouski) et en commande sur le site Bandcamp de Tour de Bras.

1. Jean-Guy Poirier, batteur du Jazz Libre du Québec. Citoyen du Bas-Saint-Laurent et toujours tapageur.

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