Art & Création

Un dialogue touchant et nécessaire

Par Claude Lachance le 2019/09
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Art & Création

Un dialogue touchant et nécessaire

Par Claude Lachance le 2019/09

En 2013, le Conseil du statut de la femme du QuĂ©bec cĂ©lĂ©brait le 25e anniversaire de la reconnaissance du droit Ă  l’avortement. Ce droit n’est pourtant pas acquis et, comme le montre la dĂ©claration rĂ©cente du dĂ©putĂ© conservateur Ted Falk Ă  la Chambre des communes, nombreux sont ceux pour qui l’avortement n’est toujours « pas un droit ». Ici comme ailleurs, les militants « pro-vie Â» s’activent pour dĂ©noncer, voire criminaliser les interruptions de grossesse volontaires comme l’ont fait certains États amĂ©ricains. Le QuĂ©bec n’Ă©chappe pas Ă  cette contestation : l’existence de la campagne QuĂ©bec-Vie comme la diffusion du film Unplanned dans les salles des cinĂ©mas Guzzo le montrent bien. C’est dans ce contexte explosif qu’est paru en juin dernier Il fallait que je vous le dise.

Dernier opus de l’autrice et illustratrice Aude Mermilliod qui s’est mĂ©ritĂ© en 2015 le prix Raymond-Leblanc de la jeune crĂ©ation pour Les reflets changeants, le roman graphique Il fallait que je vous le dise aborde dans un rĂ©cit nuancĂ© et empreint de sensibilitĂ© la rĂ©alitĂ© des interruptions volontaires de grossesses (IVG) telles qu’elles se vivent loin des sophismes caractĂ©risant trop souvent le dĂ©bat sur l’avortement.

Au cĹ“ur d’Il fallait que je vous le dise se trouve d’abord l’histoire d’un avortement, celui de l’autrice survenue il y a huit ans Ă  la suite d’une grossesse non dĂ©sirĂ©e. Une première partie exprime sans filtres les incertitudes, les douleurs et les deuils qui ont accompagnĂ© cette IVG. L’œuvre fait aussi une place Ă  un autre rĂ©cit, celui de Marc Zoffran alias Martin Winckler, le mĂ©decin devenu romancier Ă  qui l’on doit notamment Le chĹ“ur des femmes (paru en 2017). Dans cette seconde partie, Winckler tĂ©moigne du parcours qui l’a amenĂ© Ă  devenir l’homme-qui-Ă©coutait-les-femmes en pratiquant des IVG peu de temps après leur lĂ©galisation par la France. Mais ce roman graphique est avant tout le rĂ©cit d’un dialogue sans pathos sur le thème de l’avortement, un dialogue entre une femme et un homme qui ont, chacun Ă  leur manière, vĂ©cu l’IVG de l’intĂ©rieur.

PrivilĂ©giant un style semi-rĂ©aliste, Aude Mermilliod illustre sobrement ces tĂ©moignages et Ă©vite les grandes envolĂ©es qui mettraient son rĂ©cit au second plan. Toutefois, mĂŞme si son crayonnage ne rĂ©volutionne en rien le genre, la lĂ©gèretĂ© de ses traits, comme le dĂ©pouillement de ses planches, sied Ă  merveille Ă  son propos et nous permet aisĂ©ment de nous imprĂ©gner des propos et des Ă©motions exprimĂ©es par les protagonistes. L’utilisation d’une palette de couleurs dominĂ©e par l’orange, le vert et le jaune pastel apporte quant Ă  elle une lĂ©gèretĂ© au rĂ©cit sans dĂ©dramatiser totalement le sujet abordĂ©. Au contraire, ce choix de couleurs humanise son propos et favorise l’expression des Ă©motions et des questionnements rattachĂ©s Ă  l’IVG.

Il fallait que je vous le dise n’a rien d’un livre didactique sur l’avortement. Les propos Ă©voquent Ă  peine les arguments du dĂ©bat qui ressurgit rĂ©gulièrement dans l’espace public. Le but poursuivi par Aude Mermilliod est tout autre : montrer et dĂ©voiler l’envers d’une opĂ©ration qui provoque encore trop souvent la honte et l’isolement des femmes qui y ont recours. En ce sens, Il fallait que je vous le dise est une BD engagĂ©e et nĂ©cessaire.

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