
En 2013, le Conseil du statut de la femme du Québec célébrait le 25e anniversaire de la reconnaissance du droit à l’avortement. Ce droit n’est pourtant pas acquis et, comme le montre la déclaration récente du député conservateur Ted Falk à la Chambre des communes, nombreux sont ceux pour qui l’avortement n’est toujours « pas un droit ». Ici comme ailleurs, les militants « pro-vie » s’activent pour dénoncer, voire criminaliser les interruptions de grossesse volontaires comme l’ont fait certains États américains. Le Québec n’échappe pas à cette contestation : l’existence de la campagne Québec-Vie comme la diffusion du film Unplanned dans les salles des cinémas Guzzo le montrent bien. C’est dans ce contexte explosif qu’est paru en juin dernier Il fallait que je vous le dise.
Dernier opus de l’autrice et illustratrice Aude Mermilliod qui s’est mérité en 2015 le prix Raymond-Leblanc de la jeune création pour Les reflets changeants, le roman graphique Il fallait que je vous le dise aborde dans un récit nuancé et empreint de sensibilité la réalité des interruptions volontaires de grossesses (IVG) telles qu’elles se vivent loin des sophismes caractérisant trop souvent le débat sur l’avortement.
Au cœur d’Il fallait que je vous le dise se trouve d’abord l’histoire d’un avortement, celui de l’autrice survenue il y a huit ans à la suite d’une grossesse non désirée. Une première partie exprime sans filtres les incertitudes, les douleurs et les deuils qui ont accompagné cette IVG. L’œuvre fait aussi une place à un autre récit, celui de Marc Zoffran alias Martin Winckler, le médecin devenu romancier à qui l’on doit notamment Le chœur des femmes (paru en 2017). Dans cette seconde partie, Winckler témoigne du parcours qui l’a amené à devenir l’homme-qui-écoutait-les-femmes en pratiquant des IVG peu de temps après leur légalisation par la France. Mais ce roman graphique est avant tout le récit d’un dialogue sans pathos sur le thème de l’avortement, un dialogue entre une femme et un homme qui ont, chacun à leur manière, vécu l’IVG de l’intérieur.
Privilégiant un style semi-réaliste, Aude Mermilliod illustre sobrement ces témoignages et évite les grandes envolées qui mettraient son récit au second plan. Toutefois, même si son crayonnage ne révolutionne en rien le genre, la légèreté de ses traits, comme le dépouillement de ses planches, sied à merveille à son propos et nous permet aisément de nous imprégner des propos et des émotions exprimées par les protagonistes. L’utilisation d’une palette de couleurs dominée par l’orange, le vert et le jaune pastel apporte quant à elle une légèreté au récit sans dédramatiser totalement le sujet abordé. Au contraire, ce choix de couleurs humanise son propos et favorise l’expression des émotions et des questionnements rattachés à l’IVG.
Il fallait que je vous le dise n’a rien d’un livre didactique sur l’avortement. Les propos évoquent à peine les arguments du débat qui ressurgit régulièrement dans l’espace public. Le but poursuivi par Aude Mermilliod est tout autre : montrer et dévoiler l’envers d’une opération qui provoque encore trop souvent la honte et l’isolement des femmes qui y ont recours. En ce sens, Il fallait que je vous le dise est une BD engagée et nécessaire.