
Le 18 juillet dernier, Élie Maure, auteure du Cœur de Berlin et lauréate des Rendez-vous du premier roman, était l’invitée du Carrefour de la littérature, des arts et de la culture (le CLAC Mitis), en collaboration avec l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) et le Club des Grands lecteurs du CLAC, dans le cadre d’un thé littéraire aux luxuriants Jardins de Métis.
Dense, bouleversant, ce roman émaillé de retournements surprend : plusieurs situations adroitement présentées comme idylliques de l’extérieur se révèlent mortifères dans l’intimité des personnages. Ce traitement « multicouche » tient en haleine : Élie Maure rapproche avec brio l’injonction de mémoire qu’un père professeur, intellectuel brillant et tyrannique impose à ses enfants et l’amnésie de certains d’entre eux, symptôme de souvenirs traumatiques occultés pour raison de survie.
Simon, le narrateur, la cinquantaine, partage son temps entre l’écriture, plus ou moins en dilettante, ses déplacements à vélo, passion qui cadence le flux de ses pensées et le rythme du texte, et son travail dans le milieu de la recherche universitaire. Jusqu’au jour où son père décède. Tout comme son chien, seul élément stable dans la vie de cet « éternel adolescent ». Remonte alors à sa mémoire le souvenir de Béatrice, sa presque jumelle dont il était si proche et qu’il ne voit plus depuis des années. Que s’est-il passé? Pourquoi Béatrice a-t-elle disparu? Pourquoi ne s’en est-il jamais soucié? Simon part à la recherche de sa sœur comme s’il en allait de sa survie. S’ensuit une quête identitaire qui l’amènera à rendre visite à des personnages à la psychologie brossée avec précision, virtuosité : sa mère dépressive, ses deux frères, au tempérament opposé, une amie de Béatrice, qui fera office de messagère et une tante, sœur de ce père qu’il connaît mal. Une soif de vérité, un impérieux besoin de vivre le pousseront à exhumer des secrets délétères.
Abouti, à l’écriture maîtrisée – à la fois crue, poétique et richement imagée –, Le cœur de Berlin se lit d’une traite. Le sujet est ardu, mais la voix est juste, très juste. L’auteure nous présente des relations familiales toxiques, mais instille néanmoins de la douceur, de la clarté, terreau propice à l’apaisement, à défaut d’une rédemption : « Personne ne me voit, mais moi je sais, je baigne dans la lumière […] J’ai trouvé ma source. […] Le monde possède un visage pour contempler l’infini. »
Élie Maure montre de façon magistrale comment les souffrances se transmettent de génération en génération, « voyagent comme des passeports diplomatiques », jusqu’à ce qu’un membre de la lignée réussisse à y mettre un terme, au prix de longs et difficiles efforts.
La construction de l’œuvre est remarquable : quatre saisons en guise de chapitres, cinq lettres, de multiples cercles concentriques de plus en plus étroits, qui se resserrent comme un étau, à l’image des griffes du rapace, « toujours agrippé [aux] omoplates » de Simon, métaphore de ses angoisses, de sa mélancolie, de ses cauchemars. Des indices, comme autant de pièces d’un casse-tête ou de cailloux blancs qu’aurait semés là un Petit Poucet craignant de se perdre, constellent la lecture et prennent tout leur sens plusieurs dizaines de pages plus loin, dans des fragments composés en écho. Et tout s’éclaire soudain : la forme apparemment morcelée épouse le fond, ces souvenirs qui ne reviennent à la mémoire que par bribes.
Traité très près du corps, de la sensation, où l’Algérie, lieu de l’enfance des protagonistes, tient une place centrale, Le cœur de Berlin est un roman intimiste et émouvant, qui demeure longtemps sous la peau. À lire absolument.
Élie Maure animera un apéro littéraire le 13 décembre, à 17 h, au Château Landry de
Mont-Joli, à l’issue d’une résidence de création.