
Ce qui existe entre nous est le fruit du travail collectif de vingt-deux auteures québécoises réparties en onze duos, où chacune a humblement accepté de s’ouvrir à l’autre et d’accueillir en retour cette voix étrangère.
Entremêlant leurs univers et leurs espoirs, revisitant leur enfance ou s’interrogeant sur leurs errances prochaines, ces « sœurs d’écriture » ont entretenu, à partir de 2016, une correspondance unique qui leur a permis d’échanger à propos des enjeux de leur création et des lieux qui les inspirent. Elles se sont rencontrées, se sont envoyé courriels et missives, se sont entrelues. Elles ont tissé des liens. De femme à femme. D’artiste à artiste. D’un territoire intime à un autre.
L’idée de ce recueil de dialogues poétiques, dirigé par Sara Dignard, a germé lors de la lecture du livre Le deuil du soleil, dans lequel Madeleine Gagnon aborde sa rencontre avec Marguerite Duras en 1980. Faisant le pari que ce type d’échange entre créatrices peut enrichir les parcours de chacune et les entraîner potentiellement vers des pistes insoupçonnées, le projet a donc misé sur ce processus d’accompagnement épistolaire entre deux auteures, créant du sens et des liens malgré la distance.
Ces magnifiques rencontres littéraires ont ainsi donné lieu à des contributions variées. Diane Régimbald et Geneviève Gosselin-G., dans « Chavirer les eaux », marchent ensemble en suivant les empreintes de l’enfance. Marie-Josée Charest et Louise Cotnoir échangent leurs plages et leurs îles comme des cartes postales représentant leur « Géographie intérieure ». Denise Desautels et Tania Langlais veillent dans leurs phares d’écriture, s’envoyant des vers salvateurs. Laurence Veilleux et Élise Turcotte partagent leur silence et leurs prières devant leurs autels portatifs. Rita Mestokosho et Marie-Andrée Gill s’inventent un futur porteur d’espoir dans la neige et les tempêtes. Le texte poétique de Sarah Marylou Brideau et de Dyane Léger crépite comme un feu de bois où se réchauffent des fées et des sorcières encabanées. Monique Adam et Geneviève Boudreau unissent leur voix pour tracer de nouvelles cartes du ciel, tandis que Chloé Savoie-Bernard et France Théoret croisent leur passé et s’engagent à parler des lieux de l’autre. Pendant que Nicole Brossard et Virginie Beauregard D. prennent un café en attendant les poèmes à venir, Sara Dignard et France Cayouette jouent à cache-cache dans des paysages kaléidoscopiques. Et finalement, l’« outre-langue » de Louise Dupré et de Ouanessa Younsi vient clore tout en délicatesse cette partition polyphonique en abordant les thèmes de la mémoire et de l’écriture féminine.
Touchants, rassembleurs et riches, ces échanges de repères géographiques et de repaires artistiques font tomber les barrières, qu’elles soient génériques ou générationnelles. Je crois justement que la force et la pertinence de ce projet résident dans cette ouverture à l’autre, permettant d’instaurer un dialogue authentique et généreux. Même les lecteurs peuvent s’inviter dans ces espaces accueillants, ces ateliers de création virtuels, qui n’ont pas ce petit côté hermétique des essais d’écrivains réfléchissant à leur poétique seuls dans leur coin.
Ici, on écrit directement à l’autre. On partage ses angoisses et ses rêves. On trouve des lieux communs pour bâtir ses histoires et ses poèmes. « On se tient compagnie en écrivant des phrases auxquelles on veut croire, ne serait-ce qu’un instant, le temps d’apprivoiser en soi l’écho d’une voix endormie. J’écris, debout devant le vertige, tu écris, nous sommes deux femmes qui se tendent la main. » (Louise Dupré et Ouanessa Younsi)