
Dès le générique du début, on est déstabilisé par la superposition de la typographie grasse et arrondie qui rappelle le scrapbooking et la musique punk. On voit Miron, le protagoniste, rouler sur son skate à travers Montréal, d’une fête bien planante à sa maison. Ses parents, deux profs d’université, témoins de sa déchéance scolaire, décident de l’emmener dans un village pendant sept semaines pour lui donner quotidiennement des cours de rattrapage afin qu’il réussisse son secondaire. C’est donc dans les années 1990 et dans cette maison de campagne reculée que se déroule le film pratiquement en huis clos.
Après trois courts-métrages, soit Vie d’ruelle (2016), Le Pédophile (2015) et L’Ouragan Fuck You Tabarnak ! (2013), Ara Ball nous livre cette année son premier long-métrage, Quand l’amour se creuse un trou. Ouvertement pastiché du célèbre film Harold et Maude, cette fiction met en scène une histoire d’amour entre un jeune adolescent punk et une beatnik de 73 ans. La distribution est impressionnante : Robert Naylor dans le rôle de l’adolescent anarchique, France Castel dans le rôle de la beatnik amoureuse, Julie Le Breton et Patrice Robitaille dans le rôle des parents qui s’aiment… mais ne s’aiment plus vraiment. Comme la distribution, ce long-métrage est un mélange de classiques et de surprises. On retrouve à la fois la dynamique de couple aigre-douce typique des films québécois des années 90, mais on retrouve également un détachement nouveau à travers le personnage de l’adolescent et une esthétique propre au réalisateur.
Je me suis surprise à éclater de rire comme à me reconnaître à travers chacun des personnages : surtout, j’ai été décontenancée par la façon dont ce film m’a surprise. Si la structure narrative est tout ce qu’il y a de plus classique, Ara Ball réussi le tour de force qu’est celui de nous surprendre avec une fin attendue. La gradation du surréalisme au encore-surréalisme, la démarche artistique en formation est évidente. Si les dialogues sonnent fabriqués et ont un arrière-goût familier, les plans de vue offrent littéralement un angle nouveau sur une histoire revisitée. Certes, certaines transitions entre les scènes sont plutôt sèches et précipitées ; en contrepartie, le film présente un véritable travail méticuleux de l’art de la banalité qui mérite d’être découvert. À la fois léger mais sensible, divertissant mais introspectif, et, surtout, à la fois totalement éclaté mais étonnamment juste, Quand l’amour se creuse un trou est une œuvre à part entière qui donne un vent de fraîcheur au cinéma québécois.