Champ libre

Leurs postérieurs, nos postérieurs

Par Stephanie Beaudoin le 2018/09
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Leurs postérieurs, nos postérieurs

Par Stephanie Beaudoin le 2018/09

Ils sont duveteux, fermes, poilus, moelleux, aguichants, attachants, criards. Ils sont un appel à la réflexion, voire à la contemplation; les postérieurs (ou antérieurs, par ailleurs) dévoilés dans l’exposition de Valérie Simone Lavoie proposent une douce ode à la diversité. Il n’est pas ici question de doux dans le sens de doucereux, car certaines images tendent à écorcher les représentations habituelles du corps nu. Il est plutôt question de doux dans le sens de tendre. Comme si la relation tissée entre la photographe et les créatrices et créateurs photographiés, partie intégrante de la démarche de l’artiste, était perceptible dans l’ensemble de l’œuvre. L’on ressent une espèce de tendresse en filigrane, une considération pour les sujets des œuvres – et non pas un propos qui serait tendre – qui semble teinter le traitement qu’elle y fait de la diversité. En effet, au lieu de mettre l’accent sur la différence, elle souligne les identités et les réalités corporelles plurielles dans un tout qui offre à la personne qui le regarde un espace d’acceptation et de non-jugement.

C’est d’ailleurs ce que Valérie Simone Lavoie avait en tête lorsqu’elle a monté Poème de velours sur le postérieur d’une ballerine burlesque en 2015. Elle souhaitait « déconstruire les codes sociaux, éviter la censure, le jugement, [éviter] de pointer les gens, de se moquer, de critiquer ». Son idée de transmettre en images ce « tout le monde et personne en même temps » se concrétise entre autres par l’absence de visages et de signes distinctifs. On n’y reconnaît personne (sauf peut-être une certaine partie de tout le monde), ce qui, pour l’artiste, importe autant sur le plan théorique que pratique. En effet, celle qui enracine son travail dans les petites communautés rurales n’est pas sans savoir que l’anonymat y est chose difficile. Le défi de se rapprocher d’un nu qui « parle » à plusieurs est néanmoins réussi. L’absence de visages, ces terrains connus qui permettent une identification, un langage émotionnel plus direct, a pour effet de déployer une palette d’émotions différente.

Les gens-jambes, si l’on peut s’exprimer ainsi, sujets des photographies cadrant de la taille aux pieds, font montre d’une pluralité de mises en scène. C’est sans doute cette variété qui permet à quelques clichés érotiques, féministes et à ceux qui touchent à l’identité de genre de s’y immiscer, sans toutefois choquer l’œil spectateur en quête de renouveau. L’artiste, qui se considère plus comme une performeuse que comme une photographe, accorde une grande importance non seulement à la mise en scène lors des séances photo (qu’elle approche aussi comme des performances), mais également à la mise en scène qui sert à présenter, à faire parler les œuvres en galerie. Valérie Simone Lavoie accompagne d’ailleurs ses photographies de sa propre poésie, qu’elle renouvellera pour la mouture de l’exposition qui aura lieu à Rimouski. Elle prépare, en outre, une performance pour le vernissage du 12 septembre, un probable rituel funeste où seront anéantis des extraits littéraires d’auteurs considérés comme misogynes. Les ballerines burlesques et autres postérieurs ne seront ainsi pas les seuls à « s’exposer » à la galerie d’art Léonard-Parent. À voir du 12 septembre au 19 octobre 2018. 

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