Champ libre

Habiter ou être habité

Par Marise Belletête le 2018/09
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Champ libre

Habiter ou être habité

Par Marise Belletête le 2018/09


Expo habitat,
qui paraîtra aux éditions La Peuplade à la fin septembre, est le premier recueil de Marie-Hélène Voyer. Loin de présenter les dernières tendances en décoration et en aménagement paysager pour agrémenter votre propriété, le titre évoque plutôt une tentative d’exposer, voire d’épuiser le « catalogue » de toutes les maisons habitées, des abris construits, des lieux visités ou rêvés. Le tout dans un style et une écriture magnifiques dont on contemple et suit attentivement les tracés, pierre après pierre, route après route.

« Ici les lieux s’agglutinent. Le regard balaie “Île au Massacre” “Île Brûlée” “Cap Enragé”. Les îles sont figées dans leur durée. Plus loin les sanctuaires d’oiseaux, le duvet, les mousses, la déclivité perturbante des falaises. Puis “Baie des Roses” “Pic Champlain” “Saint-Fabien” “Saint-Simon” : maintenant les hangars, la tôle, les maisons, les églises, les tourbières odorantes, les cantines et les cours à ferraille. Le cours normal des lieux. »

Dressant une topographie de l’intime, une sorte de carte personnelle qui finit par devenir collective, le recueil interroge tous les types d’espaces. Ceux qu’on cherche à fuir comme ceux où l’on voudrait s’enraciner. Les lieux remplis de souvenirs et ceux qui n’ont plus de mémoire. On y présente des lieux, clos ou ouverts, qui appellent différentes façons de circuler, de penser, de vivre. Et dans ces paysages, Voyer réussit à faire surgir ponctuellement des personnages qui sont parfois eux-mêmes des refuges, des repères. Certains semblent faire partie des fondations, d’autres paraissent tracés à même leurs chemins de croix et leurs lignes de trappe, ou encore, ne faire qu’un avec leurs clôtures. Si bien qu’au fil des êtres et des lieux évoqués, l’on ne peut plus dire lequel de l’homme ou du territoire laisse son empreinte sur l’autre.

Décrivant d’abord la ferme familiale puis l’anonymat des grandes villes, en passant par les autoroutes, les îles et les forêts, la poésie de Voyer investit différents territoires, en rendant avec minutie chaque parcelle de terre, chaque recoin de hangar, chaque peur enfouie dans ses refuges souterrains. Car si saisir ces lieux en détail est possible, s’y sentir accueilli et confortable semble plus problématique.

La première suite, particulièrement fondatrice, redessine le territoire de l’enfance, égrené comme un chapelet, pièce par pièce, objet par objet. On le creuse, on l’épuise par cette fouille archéologique. Mais il semble condamné à se refermer sur lui-même.

« Ici on voyage nulle part on fait juste des tours de bécique de pickup de tracteur de batteuse de pelle mécanique de quat’roues de waguine qu’il est long le temps de l’indépassable campagne. »

Dès le début, le recueil témoigne ainsi d’un rapport sensible et inquiet à l’espace, qui se fait difficilement habitable. L’étouffement, la solitude, l’ennui et les tragédies semblent avoir infiltré les constructions autant que les paysages. On y sent aussi grandir cette tension palpable entre la vastitude du territoire et l’intuition des frontières.

« Du haut de ta balançoire tu vois deux jardins deux hangars trois vieilles granges une ferme trois bosquets deux rivières six sept huit champs beaucoup d’espace pour manquer d’air. »

Malgré cette relation conflictuelle possible avec l’extérieur, la douceur et la fragilité de certains poèmes réussissent à laisser la vie sensible pénétrer la dureté et la mécanique de la « torpeur longitudinale » des autoroutes, des architectures hideuses et des lieux impersonnels qui nous entourent.

Particulièrement réussi, ce recueil habilement construit déploie patiemment ses matériaux, tout en nous invitant à nous questionner sur la manière dont on habite le territoire ou dont celui-ci nous habite.

Un itinéraire poétique à découvrir!

Marie-Hélène Voyer, Expo habitat, La Peuplade, 2018.

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