
Le 5 juin dernier, j’ai rencontré Paul Fortier, Denis Leblond et Stéphanie Pelletier au sujet de Robertine, une pièce du Théâtre populaire Desjardins de L’Isle-Verte qui sera présentée à la Cour de circuit de L’Isle-Verte. Depuis 2014, la Fondation du patrimoine de L’Isle-Verte, qui gère l’édifice patrimonial de la Cour de circuit de L’Isle-Verte, propose un cycle de pièces, la première mettait en vedette un pionnier d’antan, la deuxième reconstituait un procès et la troisième présentait un pionnier d’aujourd’hui. Cet été, la pièce porte sur une pionnière de L’Isle-Verte, Robertine Barry (1863-1910), la première femme canadienne d’expression française à avoir exercé le métier de journaliste. Sous le pseudonyme de Françoise, Robertine Barry a signé de 1891 à 1900 sa « Chronique du lundi » dans le journal La Patrie (qui était progressiste pour l’époque), puis fondé et dirigé le bimensuel Journal de Françoise de 1902 à 1907.
Quoique son cadre soit fictif, la pièce propose un huis clos réaliste et une joute verbale des plus dynamiques entre deux idéologies, celle du clergé québécois de la fin du 19e siècle, incarné par Mgr Paul Bruchési (défendu par Paul Fortier) et Robertine Barry (interprétée par Stéphanie Pelletier), dans une mise en scène de Denis Leblond.
Avoir maille à partir avec le clergé et la bien-pensance
Dans la pièce Robertine, la journaliste est conviée à une rencontre par Mgr Bruchési (1855-1939), archevêque de Montréal. Cette rencontre vise à déterminer si ce dernier va accepter que Robertine Barry soit conférencière lors du congrès de fondation de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB) (1907), un regroupement de femmes francophones qui a mené aux féminismes contemporains. Parce qu’elle ose embrasser la carrière de journaliste, et qu’elle défend des idées en avance sur son temps, Robertine Barry essuie les reproches du clergé et de ses ardents défenseurs, principalement des hommes, mais aussi des autres membres de la FNSJB.
Comme le souligne Denis Leblond, l’avant-gardisme de Robertine Barry tient au fait qu’elle revendique l’existence légale des femmes, soutient « l’importance d’être autonome financièrement pour ne pas dépendre d’un homme » et affirme haut et fort que l’amélioration de leurs conditions se fera par l’accès aux études supérieures, ce qui annonce, dès 1891, les changements sociaux de la Révolution tranquille. Pour Stéphanie Pelletier, qui incarne cette femme au caractère bouillant, dotée d’un grand sens de l’humour et qui prône un célibat non misérabiliste et rejette les stigmates de la « vieille fille », Robertine était visionnaire dans sa façon de voir le féminisme, alors que ce mot commence tout juste à être utilisé au Québec.
Fragile liberté des femmes, hier, maintenant et demain
De fait, c’est parce qu’elle était une personne libre – femme de surcroît – qui remettait en question les fondements et l’étendue de l’autorité de l’Église sur les femmes sur la place publique que cette rencontre fictive imaginée par Paul Fortier est pertinente. Une telle rencontre pourrait-elle se produire aujourd’hui? Probablement, car même si l’accès aux réseaux sociaux porte à penser que la liberté de parole est chose acquise, la censure et l’autocensure y sont toujours actives, sous d’autres formes, parfois subtiles. Force est de constater que les mentalités évoluent très lentement, et souvent en surface. Les efforts pour museler les femmes et d’autres personnes (non binaires, trans, etc.) par l’intimidation et le harcèlement rappellent que la liberté d’être et de s’exprimer n’est jamais acquise et toujours à (re) conquérir.
Robertine sera présentée les 27, 28, 29 juillet et les 3, 4 août à 19 h 30 et le 5 août à 13 h 30 à la Cour de circuit de L’Isle-Verte.