
Lorsque deux imaginaires déjantés se croisent et en viennent à cohabiter dans des albums inclassables, il en découle des œuvres empreintes de liberté et de folie qui continuent de nous émerveiller par leur transformation du réel. Une de ces rencontres fertiles est celle entre la prose imagée de Louis-Philippe Hébert et les illustrations de Micheline Lanctôt que l’on peut redécouvrir cet été sur le territoire mitissien, du 1er juin au 30 septembre, grâce à la programmation du Carrefour de la littérature, des arts et de la culture (CLAC).
D’abord parus dans les années 1970 aux Éditions du Jour, les dessins de leur premier album, Le Roi Jaune, sont exposés au Centre culturel du Vieux Presbytère de Sainte-Flavie, alors qu’environ une vingtaine d’extraits et d’esquisses du livre Le cinéma de Petite-Rivière transforment les murs du Château Landry de Mont-Joli en véritable story-board.
La collaboration entre la comédienne et réalisatrice Micheline Lanctôt et l’auteur et éditeur Louis-Philippe Hébert remonte à une cinquantaine d’années. Elle travaillait à l’époque dans un studio d’animation. Lui, dans une librairie. Si le motif précis qui les a poussés à s’associer dans cette aventure créatrice a été oublié, il n’en reste pas moins que leur démarche respective semblait s’alimenter à un moteur commun : « On partageait la même habitude chronique de vouloir réinventer le monde », se rappelle Madame Lanctôt.
Représentant un bestiaire fantastique et des êtres polymorphes comme des hommes framboise ou ballon, les illustrations frappent par leur originalité, leur audace et l’ambiance de non-conformisme qui s’en dégage. Ici, comme l’explique Hébert en commentant le travail de sa complice, « le dessin n’est pas qu’un calque du texte, il ouvre une autre porte, il raconte autre chose ». De plus, Hébert nous invite à porter attention au cadrage : « Chacun des dessins est fait selon un angle de vue et une perspective différente. On peut déjà voir l’œil de la future cinéaste, qui cherche à réinventer l’image. »
Comparée à des univers comme le Pays des Merveilles de Lewis Carroll ou au délire langagier de Jacques Prévert, et aussi parfois très près des inventions de Boris Vian, l’œuvre des deux artistes ressemble à une série de courts-métrages dans lesquels se condensent divers possibles farfelus. Ce projet « démesurément et purement imaginatif », pour reprendre l’expression de Lanctôt, associe le pouvoir des mots et des images afin de créer de nouveaux mondes surréalistes, en dérivant à partir d’un simple objet, d’un personnage ou d’un concept.
« Soudainement, ma robe tombe comme des ballons rouges, et ils rebondissent sur le sol mou dans toutes les directions. […] le paysage était couvert de framboises. C’était bien la tentation logique, celle d’une solution, que de penser que les choses se sont enveloppées des framboises, mais même la plus chevelue des poussières a perdu de sa solidité, de son contour normal, pour devenir juteuse, rouge et sensible — de façon immédiate — au soleil, à la pluie, aux variations de température1. »
Si, comme moi, vous avez envie de vous plonger plus en profondeur dans cette création marquée par l’hybridité formelle et l’onirisme, en plus de visiter l’exposition, vous retrouverez ces textes et ces images dans Le Roi Jaune et Le cinéma de Petite-Rivière, récemment réédités à La Grenouillère.
1. Extrait de « L’idée de la framboise », dans Le cinéma de Petite-Rivière.
Les extraits et illustrations du Roi Jaune et du Cinéma de Petite-Rivière seront exposés au Vieux Presbytère de Sainte-Flavie et au Château Landry jusqu’au
30 septembre.