Actualité

Prendre parole, vendre sa salade ou offrir son flan

Par Eric Normand le 2018/07
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Prendre parole, vendre sa salade ou offrir son flan

Par Eric Normand le 2018/07

« Ce n’est pas une parole juste,

c’est juste une parole. »

-Roger Des Roches

Si j’ai l’habitude de faire l’impertinent dans ces colonnes, sachez que l’approche des élections me fait perdre tout sens de l’humour (lequel eut été utile pour voter) et que le billet que vous vous apprêtez à lire parle de choses sérieuses, graves, et laisse un goût terreux en bouche; ce genre de discours proférés par des esprits dérangés qui laissent exprimer l’ignoble mièvrerie des sentiments humains investis dans ce que ces bipèdes appellent « politique ».

Personnellement, je n’attends rien de la horde de sauveurs que l’on nous met dans l’arène. Je sais que je ne « gagnerai pas mes élections ». Je sais que je ne voterai pas pour le parti incarnant le rêve de ma famille des années 80. Mais je pense qu’on peut se parler.

Je me questionne sur le rôle et l’incidence d’une parole politique, publique, par les acteurs du tissu social : artistes, travailleurs de tous milieux ou personnalités publiques.

Je regarde les informations, j’écoute la radio et tout me semble si consensuel et à la fois polarisé. Bardés tantôt de stratèges, tantôt d’agents, tantôt de coachs de vie, politiciens comme acteurs et chanteurs évitent le sujet, titubent, font des détours pour ne pas déplaire à tel ou tel pourcentage. On marche au marketing et aux sondages. On contraint la spontanéité pour profit ultérieur. Si on se lève, c’est pour exciter un public cible.

Il y a malaise en la demeure. Tous ces gens sont plates à mourir. On ne se détourne pas de colère, mais de dédain.

On demande à Nadeau-Dubois de parler comme un politicien et au moindre pas de côté, on lui reproche d’être un extrémiste maoïste tandis qu’il multiplie les steppettes pour avoir l’air d’un bon garçon.

Vous voyez. On ne parle pas vraiment de politique dans les médias québécois.

Et derrière cette façade et ces stratégies, il y a un dialogue qui ne se fait pas entre les milieux, entre les générations, un dialogue qui fait que les sociétés évoluent plutôt que de se braquer derrière des étendards et de chercher ennemi à la moindre chamade.

Quand je pense à Chartrand qui ne se gênait pas pour envoyer chier un juge ou pour haranguer Bernard Derome un soir d’élections. Je dis : « Bah! On peut être polis! Mais ne soyons pas lisses. » Et si, sur l’allant de cette campagne électorale, nous décidions tous de prendre la parole, la grosse parole sale, sans avoir peur de déplaire à ceux que l’on vomit. Ne devrait-on pas renouer avec l’art de déplaire?

Bombardés que nous sommes d’« éditorieux » qui se la jouent cheap shot sur la petite misère et le racisme ordinaire, nous avons besoin de voix discordantes, d’autres tons, d’autres discours, d’autres formes, aussi. Car à vouloir être progressistes, aussi bien unir la forme au fond et l’être aussi dans les façons de se narrer. On pourrait spreader des mots partout, cloner des Catherine Dorion, casser le moule, sonner aux portes pis laisser sur le seuil un sac de poésie en feu.

J’ai trop souvent l’impression de voir une horde de véganes qui nous vend du saucisson. Figée par la peur, la personne publique ne veut pas mettre le pied sur une ligne qui pourrait nuire à sa carrière, pour cela elle énonce les choses comme si elle était dans un mauvais téléfilm. Et manque d’audace, et manque de vrai. Parizeau l’a bien compris.

Euh. Attendez! Laissez-moi y réfléchir une minute. Peut-être que j’ai tort? En fait, je les comprends, ces gens, de se taire devant la foule railleuse et rancunière. Je ne voudrais pas me retrouver dans les souliers de Richard Martineau! En fait, nous en avons bien des champions de l’art de déplaire, mais ils jouent tous dans la même équipe. Et les haïr est devenu un sport national.

C’est pourquoi, si vous souhaitez être une personnalité publique, dans la politique, la course ou les arts, je vous conseille de vous tenir loin des idées. Si vous voulez être de type engagé (comme Bono), optez pour des discours peu originaux et qui provoquent peu de dissension. Vous pourrez aussi choisir les discours socialement valorisés par les instances gouvernementales.

Allons donc demander à Ricardo ce qu’il pense du capitalisme.

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