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Ce que les migrants ont à nous apprendre

Par Rémy Bourdillon le 2018/07
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Ce que les migrants ont à nous apprendre

Par Rémy Bourdillon le 2018/07

Les images ont fait le tour du monde : un bambin, suspendu au garde-fou d’un balcon, les deux jambes dans le vide… et un jeune homme qui escalade quatre étages avec l’élégance et la rapidité de Spiderman. Il ne lui faut que quelques secondes pour sauver l’enfant de quatre ans d’une mort certaine, sous le regard impuissant des badauds.

L’homme s’appelle Mamoudou Gassama et a 22 ans. Quelques secondes avant de devenir une vedette mondiale, il était encore un migrant anonyme sorti voir un match de football dans un café, cachant sa clandestinité dans la foule de la ville. Pourquoi est-il venu à Paris? On peut lui trouver un tas de raisons quand on sait qu’il est malien : terrorisme, désertification, pauvreté… Au cours de son voyage, Mamoudou a été réduit en esclavage en Libye et a frôlé la mort en Méditerranée. Qui de mieux placé que lui pour comprendre la détresse d’un enfant face au précipice?

Questionné plus tard par les enquêteurs, le père du gamin a expliqué être sorti faire quelques courses, puis s’être attardé en chemin, se laissant tenter par une partie de Pokémon Go. Le jeu a beau être démodé, l’homme n’en est pas moins un parfait représentant de son époque, s’attachant à des futilités pendant qu’il y a péril en la demeure. Ne sommes-nous pas tous un peu comme ça, nous Occidentaux? Alors que nous sommes pleinement conscients, au temps du changement climatique et de la sixième extinction massive du monde animal, que notre mode de vie est insoutenable, nous continuons à consommer comme si de rien n’était. Au Québec, on fracasse par exemple chaque année des records de vente de camions légers : en 2017, ce sont près de 275 000 pick-up qui sont venus « enrichir » notre parc automobile.

Les signes de l’effondrement

On connaît les survivalistes un brin folkloriques qui se préparent à l’apocalypse en développant leur capacité de survie en forêt, ou plus simplement en accumulant les conserves dans leur sous-sol. Mais aujourd’hui, la menace de l’effondrement de notre civilisation industrielle devient si réelle qu’une discipline a même été créée pour l’étudier : la collapsologie.

La collapsologie recourt à une panoplie de sciences naturelles et humaines pour arriver à ses fins. C’est que les signes de l’effondrement sont partout, ce qui n’est pas non plus une découverte récente : dès 1972, le rapport Meadows, commandé par le Club de Rome, alertait sur les dangers de la croissance économique et appelait à y mettre fin afin d’éviter un effondrement qui pourrait survenir avant la moitié du XXIe  siècle.

Plus près de nous, en 2005, le rapport Hirsch du Département de l’Énergie des États-Unis annonçait que le pic pétrolier imminent – on le recule en exploitant des sources non conventionnelles, comme les sables bitumineux – aurait des conséquences sans précédent. Des armées occidentales préparent même des exercices très sérieux pour se préparer à ce genre de catastrophes.

En 2009, un article publié dans la revue Nature fixait neuf « limites planétaires » à ne pas dépasser pour éviter que « le système Terre ne bascule dans un état […] probablement bien moins favorable au développement des sociétés humaines ». En 2015, nous en avions déjà franchi quatre. Et l’on voit bien que chaque année, le jour du dépassement, moment où l’humanité a consommé ce que produit la planète en une année, survient plus tôt.

Le collapsologue compile ces éléments et les lie entre eux afin d’en tirer un récit à même de sensibiliser la population. La chose est prise très au sérieux : Pablo Servigne et Raphaël Stevens, les pères de la collapsologie, ont déjà été reçus au ministère de l’Économie français. Mais les oiseaux de mauvais augure sont aussi porteurs de bonnes nouvelles : leurs recherches ont montré que, dans la nature, la compétition n’est pas le seul facteur d’évolution, et que l’entraide en est un autre. Des relations de symbiose du monde végétal jusqu’aux lionnes qui chassent en groupe, toutes les espèces collaborent.

Faire vivre l’entraide

Appliqué à l’humain, ça donne quoi? « Dans toutes les catastrophes brutales, l’entraide et l’auto-organisation sont les comportements ultra-majoritaires, soutient Pablo Servigne. Plus on se rapproche de l’épicentre, plus il y a des actes d’altruisme extrêmes. Ça, c’est sur le moment… Quand ça retombe et que quelques personnes cessent de coopérer, la culture de l’égoïsme reprend le dessus. »

Notre résilience dépend donc de notre capacité à faire vivre l’entraide au-delà du moment de solidarité qui nous est spontanément suggéré par l’urgence. Et ça, ça se travaille! Par le bénévolat, par exemple. Ou en recréant des initiatives de quartier. Ou en se réappropriant le politique au niveau local.

Mais surtout, il faut savoir apprendre de ceux qui ont déjà vécu un effondrement et qui sont parmi nous. C’est là qu’on en revient à Mamoudou : au-delà de son geste, on gagnerait à s’intéresser davantage à sa vie, lui qui a connu mille misères avant de venir nous servir une véritable leçon d’altruisme. « Côtoyer les réfugiés, ça nous apprend à accueillir et à être empathiques, pense Pablo Servigne. Peut-être que dans 10 ans, c’est nous qui irons grimper aux barbelés de la Norvège ou du Danemark pour demander l’asile politique. On n’est jamais à l’abri. » Tout cela ne fait que commencer…

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