
Un jour j’ai dû traverser la ville de Rimouski au grand complet, à pied. J’avais 19 ans. Mon sac à dos était bourré de linge humide, il pleuvait depuis deux jours. C’était pesant. Je me rappelle clairement ce moment. Ma croisée des chemins en quelque sorte. Mon premier grand dilemme. Jeune Abitibien épris de liberté, diplôme en poche; travailler ou voyager? Et, tandis que violemment la pluie recommençait, j’ai eu cette pensée pour un toit, une place au chaud et à l’abri.
Je veux ici parler de logements, de régions et d’appartenance. Je suis travailleur au sein d’une association de locataires en Abitibi-Témiscamingue, un organisme de défense de droits né en 2012 alors que sévissait une grave pénurie de logements. Comme rien n’a été fait à ce moment contre cette pénurie qui a généré de nombreux et sévères impacts sur plusieurs familles, l’Abitibi va à nouveau vivre ce genre de crise alors que d’importants projets miniers sont en élaboration, notamment à Val-d’Or et à Rouyn-Noranda.
« Loi du marché ». Ah bon! Vraiment? Pénurie de logements, Act of God ?
100 piasses par pièce
À Rouyn-Noranda, en 2006, le coût du loyer médian était de 484 $ selon Statistique Canada. « 100 piasses par pièce », disions-nous. Un deux et demi coûtait 250 $ par mois un trois et demi, 350 $. Notre calcul était simple et permettait de dire d’un logement s’il était ou non trop cher.
Cette même année, le prix de l’once d’or était à 635 $ US, en hausse. En 2007, il dépassait les 700 $ et s’approchait du cap des 800 $. Du jamais vu! Dans la région, des voix s’élevaient — élus, économistes, développeurs — et annonçaient, pas très loin à l’horizon, de meilleurs jours économiques alors que depuis cinq ou six ans, avec une économie à plat et peu d’emplois bien payés, il fallait avoir un sacré sentiment d’appartenance pour rester dans la région. Début 2000, les gens quittaient l’Abitibi : des centaines de familles, 500, 600 par année! Dans ce contexte, il est facile de comprendre que des prédictions pour plus d’emplois et plus de richesse puissent soulager.
Mais, que ne soient pas nommés les risques… en fait, les dommages incontournables qu’occasionnent une forte activité minière et l’embauche massive de nouveaux travailleurs (pénurie de logements, hausses massives du prix des loyers), c’est plus troublant.
Le boom, bien avant la première explosion
1er juillet 2009, tous les médias locaux en parlent : des familles à la rue à Rouyn-Noranda. Parmi ces gens, des locataires qui ont décidé de changer de logement à cause de l’augmentation de 50 $ demandée par les propriétaires. Plus de logements disponibles, « sorry, no vacancy », tous loués. Élus et développeurs prennent acte, vont étudier la question, feront les représentations…
1er juillet 2010, une vingtaine de familles ne trouvent pas de logement à Rouyn-Noranda et sont contraintes à l’hébergement chez des proches. En 2011, encore des familles sans logement. Cette fois également à Val-d’Or. Sont alors demandées (au gouvernement) des bonifications au programme AccèsLogis, mesures spécifiques aux régions éloignées où construire coûte plus cher.
1er juillet 2011, des familles se retrouvent à la rue à Rouyn-Noranda, à La Sarre, à Val-d’Or et à Amos. Coût du loyer médian : 553 $ selon Statistique Canada.
En 2018, sept ans plus tard, le Grand Motel Abitibi affiche encore pratiquement complet et les taux d’inoccupation varient entre 2,5 et 2,9 %. « Un petit mal pour un grand bien », disent (encore) des voix. « La loi du marché », répètent-elles, comme si on parlait là d’une loi divine et que, de ce fait, l’idée de sacrifice aille de soi.
Alors, tandis qu’il n’y a pas plus de logements qu’avant, on entre tranquillement en cycle de forte pression de la demande sur l’offre locative en Abitibi-Témiscamingue. Répétons-le : la hausse du coût des loyers entre 2006 et 2015 (35 % à Val-d’Or et Rouyn-Noranda, 41 % à Amos) a causé des drames épouvantables. Verra-t-on à nouveau des ménages à la rue, des évictions sauvages pour hausser le prix du loyer ou de fausses reprises de logements pour les mêmes raisons? Verra-t-on encore des appartements, des trois et demi, des deux et demi être repris, transformés, encore, en lofts de luxe pour médecins spécialistes ou géologues de passage? Et les femmes, seront-elles encore les plus touchées par la hausse du coût de la vie, sachant que le pourcentage de ménages locataires consacrant plus de 80 % de leur revenu au loyer à Rouyn-Noranda durant le boom minier a augmenté de 42 % quand c’est une femme qui en était le principal soutien financier, alors qu’il a diminué de 9 % lorsqu’il s’agissait d’un homme?
C’est inquiétant et personne ne le dit tout haut. Je me demande encore comment ne pas en être indigné. Le même scénario va-t-il se reproduire? Parce que 662 dollars par mois (loyer moyen actuel à Rouyn-Noranda), c’est déjà trop cher pour 30 % des locataires, dont je suis. Mon sentiment d’appartenance, je l’échangerais n’importe quand contre une pensée pour un toit, une place au chaud et à l’abri