Champ libre

Vogue la valise

Par Claude Lachance le 2018/05
Image
Champ libre

Vogue la valise

Par Claude Lachance le 2018/05

À une époque où la société québécoise aspire à devenir maître de sa destinée, d’autres cherchent encore à surmonter la grande noirceur dans laquelle ils demeurent plongés. La Poule est l’un de ceux-là. C’est en effet dans le Québec des années 60 et 70 que se déroule le voyage en enfer de La Poule (l’alter ego du bédéiste Siris) présenté dans l’intégrale de Vogue la valise publié aux Éditions de La Pastèque.

Né dans une famille où alcoolisme et pauvreté font bon ménage, le destin de La Poule s’inscrit dans la triste réalité des enfants dont personne ne veut. Ballotté d’une famille à une autre, harcelé et intimidé en raison de ses différences, La Poule (et son créateur) nous entraîne dans les méandres d’une enfance volée où des familles comme les Pas-Constant et les Troublant accueillent des enfants sans que personne ne se préoccupe réellement de leur sort, où l’humiliation et l’intimidation sont encore banalisées. Mais si Vogue la valise présente une succession de rêves brisés, il offre aussi la description d’un long parcours vers la résilience. Et le livre apparaît à la fin comme une œuvre porteuse d’espoir.

Illustré dans un style chargé, nerveux et parfois surréaliste, Siris parvient aisément à nous transmettre l’émotion de ses personnages. Il impressionne ainsi par sa maîtrise de la narration graphique. Son découpage ingénieux et le soin qu’il apporte à la composition de ses planches et de ses dessins demeurent toutefois la grande force de son roman graphique. Par l’évocation d’un lieu, d’une chanson ou d’une émission de télé, Siris parvient non seulement à nous faire remonter le temps, mais également à nous transformer en témoins bienveillants du drame qui se déroule sous nos yeux. Ses illustrations lumineuses et parfois amusantes qui tranchent avec la noirceur du propos n’y sont également pas étrangères. Comment ne pas sourire devant le « bon manger » que La Poule se voit présenter quand il arrive chez les Troublant ou encore devant l’apparition du « Bonhomme Sept Heures ». Avec l’intégrale de Vogue la valise, Siris offre une démonstration éloquente de l’art comme catharsis et surtout de l’art comme bâton de résilience. Comme pied de nez à des démons, il est difficile de faire mieux.

Auteur montréalais issu de la contre-culture, Pierre Sirois (alias Siris) souligne depuis plus de 30 ans les travers de la société par son travail dans les fanzines et dans divers collectifs d’ici et d’ailleurs. Depuis 1995, Siris se consacre plus particulièrement à son travail personnel avec ses personnages fétiches, La Poule (Baloney 1 et 2) et Rézin Sec (Cyclope 1). Il aura fallu attendre plus de 25 ans avant que ce créateur hors du commun ait droit à une reconnaissance conséquente. L’obtention en avril dernier du Bédéis Causa 2018, prix littéraire célébrant le 9e art, nous permet d’espérer qu’il ne faudra pas attendre encore 25 ans avant de pouvoir apprécier une autre cuvée de Siris.

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

Un dernier tour de patinoire

Image

Voir l'article suivant

Paroles belles et rebelles de Raymond Devos