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Paroles belles et rebelles de Raymond Devos

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Paroles belles et rebelles de Raymond Devos

Devos à vous, de vous à Devos était présenté en mars dans le magnifique château Landry à Mont-Joli.

Deux spectateurs livrent ici quelques impressions.

Il arrive parfois des instants de grâce, des instants où « toûtt est dans toûtt », comme l’a chanté Raoûl Duguay.

C’est exactement ce qui se passe avec la prestation qu’offrent Véronique O’Leary et sa délicate complice Anne Bilodeau, magnifique à son violon, dans Devos à vous, de vous à Devos, mis en scène avec sensibilité par Michèle Rochin.

Véronique O’Leary nous communique son amour inconditionnel pour ce clown-poète-philosophe, jongleur des mots de la langue française. Douze ans après son passage vers l’éternité, Raymond Devos demeure plus actuel que jamais. Récompensé par un Grand Prix du théâtre de l’Académie française, un Trophée de l’humour au Québec et un Molière d’honneur, Devos a créé un personnage profondément humain qui s’étonne naïvement, mais avec une acuité renversante, des travers de ses contemporains.

« J’ai découvert Devos écrivain il y a 20 ans, un merveilleux antidépresseur devant l’état du monde », raconte Véronique O’Leary. « Je l’ai vu au Capitole de Québec, ce fut un moment bouleversant. Le partager avec les gens, c’est pour moi envoyer des bulles d’oxygène dans notre pouvoir d’agir ensemble par la joie! »

Artiste aux talents multiples, Véronique O’Leary s’est immergée dans l’œuvre de Devos pour resurgir avec des textes percutants. Plus qu’une intelligente composition d’extraits de textes choisis, datant de 20 ans et plus, sketches, « extravagances littéraires » et un abécédaire – méconnu – de Devos, la proposition de Véronique O’Leary est une création à part entière. Avec les mots de Devos, elle s’exprime sur le monde qui nous entoure. Elle court avec les gens qui courent comme des fous pour gagner du temps… le temps, c’est de l’argent! Elle part à la quête d’une campagne… qui recule sans cesse et s’inquiète de ne plus entendre le chant des oiseaux. Elle observe, avec l’ironie délicieuse de Devos, les regards sexistes dans la rue. Elle s’indigne des bombes qui tombent…

La proposition de Véronique O’Leary va bien au-delà d’une simple visite dans l’univers de Devos. Elle nous amène dans son propre univers et sa rencontre avec Devos produit quelque chose d’encore plus grand.

François St-Onge

Raymond Devos est un costaud. Véronique O’Leary fait un poids plume, mais lorsqu’elle monte sur scène, transportée par l’univers poétique de Devos, elle faire vivre avec force les mots d’un imaginaire désarmant.

Véronique O’Leary, depuis sa formation de comédienne et la création du Théâtre des Cuisines, premier théâtre féministe au Québec, sans oublier son travail en art clownesque, a toujours intimement mêlé art et engagement : « J’avais 20 ans en 68. Comme d’autres féministes, je pensais que les changements iraient plus vite tant on sentait l’urgence. Quinze ans plus tard, pour ne pas déprimer, j’ai orienté ma démarche vers l’ouverture à la conscience du corps, premier instrument de création, territoire de notre imaginaire. Le corps est pétri de tous nos conditionnements et le clown est le miroir rieur de ces chaînes invisibles. »

Pour Véronique, créer un spectacle à partir des textes de Devos est un acte de résistance : « Dans Devos, il y a un rire solidaire, un rire de rébellion, qui invite à être in-soumis. » En ce sens, même si les textes choisis par Véronique sont extrêmement critiques et chargés d’une actualité sidérante (immigration, nucléaire, xénophobie, modernité), la metteure en scène, Michèle Rochin, a beaucoup fait travailler l’interprète et la musicienne dans la joie qu’offre Devos sans chercher à convaincre. Pour reprendre les mots de Devos : « Il ne faut pas décrire, expliquer, il faut secouer. Ce n’est pas tellement à la tête des gens qu’il faut s’adresser. C’est à leur esprit, à leur cœur. »

On rit et on sourit beaucoup pendant la prestation, mais d’un rire qui nous renverse l’intérieur. Armée d’un tutu flamboyant, Véronique livre les textes de Devos avec la précision d’une ballerine qui monte sur ses pointes et nous lance une parole qui nous touche en plein cœur! Ce qu’on reçoit a le pouvoir, et c’est là la magie, de nous plonger autant dans nos absurdes drames quotidiens, dans nos infinis paradoxes que dans la profonde détresse humaine, là où peut-être on trouve le vrai courage de s’indigner.

Nathalie Landreville

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